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Des détenus de la prison d'Angoulême participent à un atelier de dessin de bande-dessinée. |
Penché sur une grande feuille, il dessine pendant deux heures avec quelques autres détenus. Dans cette pièce où règles, feutres et papiers créent un joyeux désordre sur la grande table, seules les fenêtres grillagées rappellent l'univers carcéral. "Ça me permet de découvrir la BD et de sortir de la cellule. Je ne savais pas qu'il fallait écrire avant de dessiner. Comment organiser une BD, ce n'est pas si simple que ça!", lance Christophe, durant un des dix ateliers organisé l'année dernière.
En tout, 114 détenus dans 27 établissements pénitentiaires, dont pour la première fois la Polynésie française, ont découvert comment une BD se construit. Ils ont réalisé pour la plupart une planche, présentée devant un jury composé d'auteurs, de responsables de la prison et d'organisateurs du festival d'Angoulême. "On est le seul Spip (Service pénitentiaire d'insertion et de probation) en France qui organise une action à destination de la France et de l'Outre-mer", souligne Daniel Gros-Circan, directeur adjoint du Spip de Charente.
Sur les 98 créations présentées, 18 personnes ont décroché vendredi un prix, dont Dan, fier de voir son œuvre qui sera exposée dans le cadre de la nouvelle édition du festival. "Ça fait plaisir, c'est valorisant", sourit cet ancien tatoueur. Il participe pour la deuxième fois à ces ateliers et a déjà gagné un prix: une BD dédicacée.
"On voyage un peu"
Pour cette 10e édition, Dan s'est dit très inspiré par le thème choisi cette année: la mer. Proche de la nature, le détenu-dessinateur raconte avec humour des petites histoires sur la pollution, en particulier sur nos déchets comme cette tortue prise dans un anneau de capsule de soda qui grandit "en forme de huit". "J'ai vu une image comme ça, ça m'a choqué", explique Dan qui a ensuite croqué avec son crayon une tortue demandant à une autre si elle avait un anneau gastrique: "Non, mon régime, je le dois à Coca-Cola", lui répond-elle.
Planche sous le bras, il est le seul à repartir dans sa cellule avec ses dessins pour y travailler durant le week-end. Les autres ne veulent pas: leurs codétenus pourraient les abîmer ou les détruire pour, par exemple, rouler une cigarette, comme c'est déjà arrivé à l'un d'entre eux. Autre raison invoquée: le manque de temps! "Aussi étonnant que cela puisse paraître, ils n'ont pas le temps ou bien pas la tête à ça", explique Antoine Ozanam, qui anime ces ateliers depuis trois ans.
"On passe du bon temps ensemble. On voyage un peu, on parle de la mer, de poisson, c'est très porté sur l'alimentation", poursuit ce scénariste de BD. "Il y a beaucoup d'échanges. On discute de tout, j'apprends plein de choses car ils sont super débrouillards, par exemple comment on fait un four en aluminium! Nos échanges nourrissent mes scénarios", sourit-il. Durant deux heures, "les détenus peuvent s'évader hors des murs" comme le souligne le coordinateur culturel, David Labbé, qui met en place ces ateliers. Échecs, yoga... une vraie bouée de secours pour les détenus interrogées. "J'ai assisté à mon premier concert de musique classique en prison, se souvient Dan, c'était touchant". Plus qu'une ouverture sur le monde, Transmurailles peut se transformer en bulle d'essai concluante pour certains: Berthet One a découvert le dessin derrière les barreaux et ne s'en passe plus depuis: il est devenu dessinateur professionnel.
AFP/VNA/CVN