De quoi s'enflammer !

Tel qui rit vendredi, pleurera dimanche ! Ce dicton s'adapte parfaitement aux caprices du ciel qui nous souffle le chaud et le froid, d'un jour à l'autre. Au grand dam de nos systèmes oto-rhino-laryngologique et broncho-pulmonaire…

Hier, il y avait un soleil du tonnerre de dieu. Aux orties les petites et grosses laines, bonnets et écharpes. La peau absorbait à pleins pores les rayons ultraviolets. Notre usine à hormones fonctionnait à toute vitesse pour synthétiser la vitamine D, une des gardiennes de notre bonne santé. Sans soleil, la pauvrette se fait rare, la fatigue et la déprime s'installent. Alors, autant dire que lorsque le thermomètre remonte, que le ciel est bleu et que l'astre du jour trône sans partage, il faut en profiter un maximum.

Aujourd'hui, le temps est maussade. Il crachine, il vente, et le mercure opère un repli stratégique. Vite, ressortir gros pulls et vestes fourrées, s'emmitoufler, se caparaçonner contre la méchante humidité qui s'insinue par le moindre interstice. Se réchauffer l'extérieur pour éviter que l'intérieur ne prenne froid. Finie la vitamine D, vive la vitamine C pour renforcer ses défenses immunitaires et affronter ce nouveau coup de froid, pas digne d'un pays comme le Vietnam.

Hélas, à jouer au ludion entre chaleur et fraîcheur, on finit par s'irriter ! Je ne parle pas des coups de colère contre cette météo qui marche sur la tête, j'évoque ici certaines parties de notre corps plutôt sensibles à ces volte-face, et la longue série d'épreuves qu'il faut surmonter pour retrouver allant et joie de vivre.

Inflammation soudaine

Pour moi, ça a commencé par une crise d'éternuements à faire tomber une forêt d'aréquiers. Surtout lorsque l'on sait que l'air expulsé peut atteindre la vitesse de 200 km par heure à la sortie du nez ! Et, non content d'envoyer au diable vauvert tous les moustiques qui traînaient dans les parages de mes narines, mon nez s'est mis à couler. En une heure, je me suis transformé en ces petits morveux renifleurs, trop occupé à jouer pour se moucher. Et même si renifler au Vietnam est moins gênant que se moucher, j'ai plongé dans l'armoire à linge pour y puiser mes bons vieux mouchoirs en coton.

Transformé en garde du corps, vous savez ceux qui se déplacent avec la main devant la bouche pour pouvoir parler à leur poignet, sauf que pour moi, c'était mouchoir devant le nez, je priai mes ancêtres pour que mes muqueuses nasales me lâchent les baskets et que je retrouve mon inspiration naturelle. Mais plus les heures passaient, plus mon nez faisait la sourde oreille, au propre comme au figuré…

En effet, par solidarité, mes oreilles se bouchaient au fur et à mesure que mes orifices nasaux en faisaient autant. J'avais l'impression d'être devenu une carpe tiré de l'étang dans une balle de coton. J'ouvrais désespérément la bouche pour alimenter en air mes poumons, et je faisais répéter dix fois de suite la même chose à mes interlocuteurs interloqués.

Devant ce spectacle si peu édifiant, mon épouse décide de prendre les choses en main, ou plutôt de mener par le nez. Puisqu'il fallait déboucher autant employer les grands moyens. Justement, nous avions rapporté d'un de nos voyages dans le Centre, un flacon de ce médicament miracle, qu'est l'huile de cajeput (dâu tràm).

La où passe «dâu tràm», la bronchite trépasse !

On ne voit que ça quand on prend la route de Huê à Dà Nang. Des petits alambics faits de fûts de fer et de tuyaux de plastique, chauffés au bois de cajeputier, qui distille les feuilles au parfum d'eucalyptus. Vendu dans des petites fiasques, semblables à celles qui contiennent du rhum, le liquide jaune clair semble une panacée. Il est sensé vous guérir de tous les maux, et pour le coup des maux j'en avais à revendre.

En effet, à la suite du nez, mes bronches se sont manifestées et, pour ce qui était de l'expulsion, elles n'avaient rien à envier au précédent appendice. Ma toux n'atteignait certes pas la vitesse de pointe de l'éternuement, mais affichait un honorable 160 km/h au compteur. De quoi émettre un bruit de tonnerre propre à inquiéter la sensibilité conjugale.

Chauffé au rouge

Voilà pourquoi, je suis assis à la table de la cuisine, tête cachée sous une serviette, respirant à pleins poumons des vapeurs brûlantes d'huile de cajeput.

À la première inhalation, j'ai cru mourir ! Une trombe d'air ardent est partie à l'assaut de mes bronches qui n'ont eu d'autres moyens de défense que de se replier sur elles-mêmes, déclenchant une quinte de toux à m'arracher trachée et lobes pulmonaires.

J'essaie de m'éloigner des ces émanations que j'imagine corrosives, je veux reprendre mon souffle, respirer un air frais. Pas moyen ! Mon épouse me tient solidement la serviette sur la tête, appuie avec douceur mais sans concession sur mes épaules : je dois inspirer jusqu'à la lie.

Après 5 minutes de ce supplice, je ne sais pas si mon nez et mes bronches sont décongestionnés, mais le visage écarlate et fumant qui émerge de la serviette fait hurler de rire ma fille qui avait abandonné son lapin nain pour assister au spectacle.

La suite des opérations de récupération de mon autonomie respiratoire paraît beaucoup plus agréable. Un cocktail d'eau chaude, additionnée de jus d'un citron vert, dans laquelle a infusé une écorce de cannelle et agrémentée d'une cuillère de miel. Sauf qu'il faut tout avaler quand c'est encore d'une chaleur plus ardente que l'amour de Lang et Lat, là-bas du côté du mont Lang Biang ! Un bref instant, j'ai compris ce que pouvaient ressentir ceux que les empereurs de jadis condamnaient à avaler de l'huile bouillante.

De toute façon, j'étais certainement guéri par crémation totale des organes, causes de mes misères ! Ne pouvant plus protester par aphonie temporaire due à l'embrasement de mon larynx, je me suis laissé guider jusqu'à mon lit où m'attendait l'ultime épreuve : les ventouses…

Je possède une boîte de petits récipients en verre qui, durant plus d'un siècle, ont dilaté les pores et les vaisseaux capillaires superficiels d'une grande partie de mes aïeux. J'avais décidé de les garder autant par nostalgie familiale que pour en transformer l'utilité en verrines à yaourt. Mais ma femme en avait décidé autrement et les avais conservées dans son armoire à pharmacie traditionnelle. Allongé sur le ventre, des brûlots de coton sur le dos, je médite sur la condition humaine surtout quand elle s'associe à une rhinite et une bronchite. Pour finir en beauté, j'ai droit à un massage en règle du thorax au baume au menthol, de quoi brûler au rouge ce qui me reste de derme sauf !

Profitant d'une absence momentanée de mon infirmière, je me suis traîné jusqu'à mon bureau pour écrire cette tranche de vie. Bizarrement, j'en arrive à la fin, sans avoir ni toussé, ni reniflé.

Peut-être éviterai-je la prochaine potion dont l'odeur de camphre, girofle et menthe, monte jusqu'à moi, portée par un air chaud qui ne me dit rien de bon !

Texte et photo : Gérard BONNAFONT/CVN

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