Cyberharcèlement : avec le confinement, la menace accrue des comptes "ficha"

Le phénomène n'est pas nouveau, mais il s'est accru pendant le confinement : les comptes "ficha", qui diffusent des images intimes de jeunes femmes sans leur consentement, pullulent sur Internet, plongeant dans la détresse des victimes plus que jamais seules.

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Photo : AFP/VNA/CVN

Ciblant des communautés d'internautes, des lycées ou des départements entiers, des comptes cherchent à nuire à des jeunes femmes en les "affichant" en ligne, d'où leur nom "ficha" (ou "fisha") en verlan. Leurs créateurs demandent aux internautes de dénicher des contenus intimes (photos dénudées, "sextapes"...) pour constituer des "dossiers" sur les intéressées et les diffuser. Les images sont parfois fabriquées.

Avec le confinement, ces comptes "ont explosé", selon Justine Atlan, directrice générale de l'association E-enfance, qui reçoit actuellement plus de 350 appels par semaine sur la ligne nationale NET Ecoute contre le cyberharcèlement. 20% des appels aboutissent à un signalement aux plateformes internet par NET Ecoute, contre 10% avant le confinement, et cela "majoritairement du fait des comptes ficha".

Cette viralité a alerté le gouvernement. "On est dans une période inédite (...) et notre but est que les plateformes mettent en place des modérations supplémentaires" pour être dans "une démarche de protection", a commenté l'entourage de Marlène Schiappa. La secrétaire d'État à l'Égalité entre les femmes et les hommes est aussi montée au créneau sur Twitter, rappelant qu'Internet n'était "pas une zone de non-droit" et demandant la suppression des contenus "pour protéger les jeunes filles".

Sentiment d'"impasse"

Comme de nombreuses victimes, Alice* est lycéenne. À 17 ans, elle a été deux fois "ficha" sur Snapchat. Une première fois en décembre, puis le 24 mars. Une semaine après le début du confinement, "un compte est réapparu dans ma ville" en Seine-Maritime, explique-t-elle : des photos d'elle "nue en position sexy", divulguées par son ex-petit ami, sont exposées à la vue de tous.

"J'ai pleuré toutes les larmes de mon corps la première fois", se souvient l'adolescente, évoquant une "peur" si forte d'être "insultée de tous les côtés" qu'elle a eu des "idées vachement noires, comme (se) bourrer de médicaments". "L'enfermement du confinement" accentue ce sentiment "d'impasse", prévient Justine Atlan. "Les victimes se retrouvent encore plus seules face à leur écran, sans opportunité de partage de leurs problèmes avec leurs pairs dans le cadre de l'école (...) ou avec un adulte référent autre que le parent".

Alice s'estime chanceuse : elle a été soutenue par ses amis et sa mère. Fin mars, l'adolescente porte plainte. "Je ne pleure plus; je me bats maintenant". "On est loin d'être désarmés" face à ces pratiques en ligne, souligne Eric Morain, avocat spécialiste du cyberharcèlement. Le +revenge porn+ (la mise en ligne par un conjoint éconduit de scènes sexuelles), qui nourrit nombre de comptes ficha et "dont la pratique s'est considérablement développée", est passible de deux ans de prison et 60.000 euros d'amende.

Signalements

Le combat se gagne aussi sur le terrain numérique. Léa, étudiante de 19 ans en Rhône-Alpes, a rejoint un groupe d'une vingtaine de militantes formé pendant le confinement, baptisé "Stop Fisha". "On établit une liste de comptes et on essaie de signaler au max tous ces liens" auprès des plateformes, du site Pharos du ministère de l'Intérieur ou de NET Ecoute, explique-t-elle, après avoir signalé pas moins de dix nouveaux comptes en un week-end.

La stratégie paie : depuis le début du confinement, 250 comptes ficha ont été supprimés à la demande de NET Ecoute. À 90% par Snapchat, selon E-enfance. Contacté par l'AFP, Snapchat n'a pas communiqué sur le total des suppressions, mais le réseau a précisé "envisager lancer très prochainement en France" une fonctionnalité en partenariat avec E-enfance. Il propose déjà en ligne un "centre de sécurité", expliquant notamment comment signaler ces comptes, et "un guide destiné aux parents".

"Le vrai sujet maintenant c'est (la messagerie cryptée) Telegram", estime Rachel-Flore Pardo, avocate de victimes de comptes ficha. "À très court terme, on n'a pas de moyens d'y faire supprimer les vidéos. C'est silence radio de leur côté". L'AFP a consulté un canal ficha sur Telegram, suivi par plus de 233.000 personnes et signalé par des militantes. Entre images dénudées et sextapes, le canal appelle à des "raids" contre des utilisatrices d'Instagram pour les pousser "à se foutre à poil" en direct. Telegram a répondu que "ses modérateurs veillaient à ce que tout contenu public ne viole pas les conditions d'utilisation" et renvoyé vers une adresse de signalement.


AFP/VNA/CVN

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