«Comment j’ai appris à connaître le Vietnam pendant ma captivité»

Bob Chenoweth est un ancien prisonnier de guerre américain (février 1968 - mars 1973). Après notre rencontre, il m’a fait le plaisir de m’envoyer un article substantiel intitulé Learning about Vietnam as an Américain POW.

Dans son article, il raconte ses souvenirs de prison, parle de sa découverte de l’histoire et de la culture vietnamiennes, de ses idées sur l’engagement militaire américain, grâce au contact des réalités vietnamiennes et à la lecture des ouvrages des Éditions en langues étrangères de Hanoi (ELE, aujourd’hui Les Éditions Thê Gioi) et de la revue trimestrielle Vietnamese Studies (Études vietnamiennes). Le regretté Docteur Nguyên Khac Viên a dirigé ces deux organismes auxquels j’ai collaboré depuis leur création. J’ai pris sa relève après sa retraite à la fin des années 1960. Avec l’autorisation de Bob Chenoweth, je me permets de traduire ci-dessous une grande partie de son article, témoignage d’un grand intérêt historique et humain. Les intertitres ont été donnés par la rédaction pour faciliter la lecture.

Souvenirs des jours de prisonnier

«En mars 2013, 40 ans après ma captivité, j’ai eu l’occasion de revenir au Vietnam. Je pense souvent aux jours de prisonnier. Je me souviens d’un matin très froid. Notre feu de bûches allait s’éteindre comme l’aube pointait, il ne nous était pas permis de raviver le feu. J’étais au Vietnam depuis un an, mais jamais je n’avais connu un froid si glacial. Nous vivions dans les forêts de la montagne, là où du ciel nuageux tombait des pluies abondantes. C’était en février. Nous nous préparions à accueillir un nouveau jour ne sachant ce qu’il nous apporterait.

Le militaire américain Bob Chenoweth était au Vietnam entre 1968 et 1973. Il a appris beaucoup sur l’histoire et la culture vietnamiennes, grâce au contact des réalités vietnamiennes et à la lecture de livres durant sa captivité.

Dix jours auparavant, mon hélicoptère VII-ID Huey avait été abattu par la guérilla au village de Hai Tân, province de Quang Tri, au sud de la DMZ (zone démilitarisée). L’équipage comprenait Yve le pilote, Roy le co-pilote, Mire le tireur anti-DCA et moi-même. Nous avions deux passagers, un colonel et un mécanicien. Tous ont été capturés. Nous avions dû marcher six jours pour atteindre ce camp dans la montagne. Nous discutions pour savoir où nous étions et où nous devions aller. Tout ce que nous savions, c’est que nous étions sous le contrôle du Front national de Libération du Sud Vietnam des +Viêt công+ (communistes vietnamiens, ndrl).

Ce matin-là, après un repas de riz et de légumes, notre interprète, instituteur venu de Huê, nous cherche dans notre paillote pour nous donner un livre en anglais +Vietnam Today+ publié à Hanoi en 1965.

(Environ deux semaines après, Chenoweth et ses compagnons furent envoyés au Nord Vietnam).

À Nghê An, nous avons commencé à lire beaucoup sur le Vietnam, en particulier sur sa préhistoire et son histoire contemporaine, la colonisation française, la guerre américaine. En plus des livres, le bi-hebdomadaire +Vietnam Courrier+. C’est la revue +Vietnamese Studies+ (Études vietnamiennes) qui m’a le plus intéressé, en particulier les premiers numéros tels que Vietnam : problèmes fondamentaux (1966), Contributions à l’histoire de Diên Biên Phu (1965). J’ai été aussi impressionné par le livre du Premier ministre Pham Van Dông +Notre combat, passé et présent+. Ces livres m’ont aidé à comprendre l’histoire de la lutte du Vietnam pour l’indépendance et comment le peuple vietnamien et ses dirigeants se sont organisés.

La lecture lui permet de comprendre le Vietnam

(La plupart des co-prisonniers de Chenoweth considèrent ces livres, souvent au style emphatique, comme les oeuvres de la propagande de l’autre côté. Mais lui les lit sérieusement pour comprendre l’autre côté).

En lisant et causant avec mes compagnons prisonniers, les officiers et soldats de la garde vietnamienne, je comprends mieux le pourquoi et le comment de l’engagement américain au Vietnam. Mais la lecture des livres des ELE m’ouvre une autre porte, l’entrée dans la confuse histoire et les traditions du Vietnam. En particulier, les numéros de sa revue trimestrielle +Vietnamese studies+ éveillent en moi un intérêt que je garde jusqu’à ce jour pour la préhistoire, l’ethnographie et l’ancienne histoire du Vietnam.

… Un sentiment se développe en moi, en tant que P.G (prisonniers de guerre) : si j’avais su quelque chose au sujet du Vietnam avant de m’engager dans l’armée, peut-être que je n’aurai pas décidé d’aller au Vietnam.

(Chenoweth analyse le contenu des livres des ELE et des numéros de Vietnamese studies qui l’intéressent).

Finalement, comme une épave, j’ai échoué au Vietnam parce que les dirigeants nous avaient dit que l’engagement américain y servait les intérêts du pays. Comme le plupart des jeunes soldats, en vérité je ne savais pas ce que cela signifiait mais j’avais l’idée vague que c’était une bonne chose, qui méritait d’être faite. Les livres des ELE et les articles de +Vietnamese Studies+ m’ont offert une autre vision. Ils m’ont aidé à placer dans leur contexte mes expériences vietnamiennes avant ma capture et à être un esprit plus critique. Ils me plongeaient dans la nouvelle réalité, me permettant de faire l’expérience du côté vietnamien, ce que peu d’Américains pouvaient voir.

… Très peu de P.G avaient connu la campagne vietnamienne, avaient vécu parmi les villageois comme notre groupe. Je n’étais pas un officier sentant sa carrière menacée, je ne me sentais pas obligé de croire que la guerre américaine était justifiée. Il est vrai que j’avais eu aussi cette conviction quand j’avais débarqué au Vietnam. Mais mes expériences m’ont invité à me demander pourquoi nous étions ici, pourquoi faire, et ce qu’était le côté vietnamien que nous soutenions et les gens appelés parfois +nos Vietnamiens+ !

Au fil des années, j’ai réussi à trouver un certain nombre de cahiers de +Vietnamese Studies+. Ils sont pleins de bonnes informations, certaines aujourd’hui surannées, cependant tous sont un bon point de départ pour ceux qui cherchent à connaître le Vietnam et la guerre américaine. Ces publications étaient entrées dans ma vie à un moment mémorable. Ils m’avaient aidé à comprendre et à apprécier. Ce qui m’était arrivé…, en particulier le peuple que je combattais. Il aurait été merveilleux d’apprendre tout cela sans avoir besoin de mes expériences personnelles. Mais je m’estime heureux d’avoir pu l’apprendre et de pouvoir passer quelque chose de ce savoir à mes enfants, mes amis et collègues».

Huu Ngoc/CVN

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