Dans les grandes villes du Vietnam, c’est peu de le dire, le respect du code de la route est quasi… inexistant. Un joyeux chaos auquel il est préférable de s’adapter pour s’insérer dans la vie locale.
L’étape fatidique de la moto pour les expatriés d’Hanoi : pas de quoi en faire un pataquès. |
De fait, je lutte contre moi-même depuis des mois pour franchir le pas. Chaque fois une nouvelle excuse. D’autant qu’il est bien peu rassurant d’entendre de la bouche des Vietnamiens eux-mêmes : «Moi, tu sais, je conduis depuis dix ans, mais je ne suis toujours pas à l’aise». Ou pire. «Je ne conduis pas la moto à Hanoi, c’est trop dangereux. Je me débrouille autrement». Me voilà donc armée de conseils rassurants pour me lancer dans l’aventure... Et notons que, si le xe ôm (moto taxi) est effectivement, au quotidien, un gouffre financier incontestable, il est doté de compétences qui me rendaient jusqu’ici d’éminents services : impossible de se perdre, et inutile de se creuser la tête à chercher un endroit improbable niché dans une ruelle introuvable. Le xe ôm connaît Hanoi comme sa propre poche et sera, en la matière, un guide des plus efficaces.
Peu importe. Peur au ventre ou pas, lorsque vos amis expats ont tous, même les plus frileux et les moins téméraires, franchi l’étape fatidique de la moto, il faut y aller. La réussite de votre adaptation au Vietnam en dépend entièrement.
Une fois la décision prise, il s’agit de la mettre en application. Et pour éviter de revenir en arrière et de trouver un nouveau trou de souris où m’échapper (du type : «le trafic est trop dangereux aux heures de pointes», «je ne sais pas conduire», «je veux coûte que coûte une automatique parce que c’est plus facile», «le xe ôm n’est pas si onéreux», «j’ai peur de la vitesse», «Hanoi est mal indiqué, je vais me perdre»…), j’ai choisi d’annoncer à tout le monde sans exception une date butoir. Celle à laquelle l’une de mes amies quittait la capitale, laissant sans propriétaire sa semi-automatique quelque peu chancelante. Me voici donc volontairement coincée.
Je l’essaye une fois avec un succès mitigé. Incapable de changer de vitesse sans vaciller. Mais je me lance tout de même.
Se faire violence
Courageuse mais pas téméraire. Ce qui constitue désormais mon bien devra attendre deux jours dans le garage avant que j’ose enfin lui mettre le nez dehors, dans la capitale endormie. Il m’a d’abord fallu une dizaine de minutes et quelques coups de fils désespérés à quelques amis bien compréhensifs avant de réussir à démarrer l’engin. Et si, a priori, rien ne pouvait m’arriver sur une chaussée presque déserte, c’était préférable. Car j’ai parcouru 5 km sans phare. Totalement invisible aux autres conducteurs. En apparence inapte à trouver un bouton situé devant mon nez!
L’étape fatidique de la moto pour les expatriés d’Hanoi : pas de quoi en faire un pataquès. |
Ce qui marquera ce premier voyage, c’est en fait, de manière peut-être inattendue, non pas le trajet en lui-même, mais le stationnement de la moto dans la maison où je réside. Cette étape somme toute anodine m’a demandé une vingtaine de minutes et toute l’énergie que j’avais cumulée depuis deux semaines. Plancher surélevé, deux petites rampes à moto à franchir, rien de follement difficile au premier coup d’œil. À la seule condition de ne pas enclencher la première si le moteur est arrêté… Ceci dit, pour prendre des muscles, c’est une technique plutôt efficace.
Quelques conseils avisés
Méthodiquement, pour ma deuxième sortie, j’ai donné rendez-vous à mon deux-roues un peu plus tôt, pour me rendre un peu plus loin. Cette fois, ma moto a décidé de s’arrêter quand bon lui chantait, me laissant immobilisée devant des feux verts dont le compteur commençait à virer au rouge… Une situation que j’ai subie trois jours durant, à cause d’un ralenti trop bas.
Heureusement pour moi, j’habite dans le pays de la débrouille. C’est ainsi que l’un de mes amis vietnamiens a réglé mon ralenti avec un tournevis emprunté au café du coin. Et me voici repartie, amputée d’un sacré handicap.
Ce que le conducteur confirmé trouve hilarant, le novice le jugera effrayant. C’est ainsi que l’on reconnaît un débutant. Pour ma part, étant justement de ce côté de la barrière, chaque problème me semble insurmontable. Pourtant, avant de songer à étrenner mon premier deux roues motorisé hors d’Hanoi, je vais devoir régler un certain nombre de détails. Le frein à pied ne fonctionne pas. Celui à main est en train de me lâcher. Mes rétroviseurs obéissent aux mouvements du vent. Mon phare est lunatique. Et lorsqu’il est décidé, je me demande bien s’il a réellement pour objectif de me venir en aide. La lampe est sortie de son orbite et éclaire le ciel. En théorie, il faut voir et être vu. Je remplis la moitié du contrat. C’est déjà ça…
Toutefois, pour conclure sur une note des plus optimistes, après avoir manqué de renverser un vélo et avoir infligé quelques collisions à mes rétroviseurs, mon apprentissage avance promptement et fièrement! Une seule règle à suivre : il n’y en a pas! Oubliez le sacro-saint code de la route que vous avez obtenu avec pugnacité dans vos pays respectifs, et suivez le flot… Rappelez-vous que la route vietnamienne appartient au plus fort. Du gabarit de votre véhicule dépend votre pouvoir : dans l’ordre décroissant : bus, camion, voiture, moto, vélo, et piéton. Ensuite, appartient la priorité à celui qui la prend, que ce soit dans les ronds-points, aux carrefours, ou ailleurs. On peut donc vous couper la route à chaque instant. Les conducteurs les plus impatients vous préviendront en utilisant leur avertisseur sonore. Les autres ne prendront pas cette peine. Néanmoins, en pratique, la tâche s’avère bien moins difficile qu’elle n’y parait. Evitez juste de mener des activités auxiliaires, telles rêvasser ou vous laisser distraire. C’est ainsi que je suis rentrée en roue libre dans une voiture.
Texte et photos : Éloïse Levesque/CVN