Cambodge 1989 - Notes de voyage de Huu Ngoc (2)

En 1989, les accords de Paris, placés sous l’égide des Nations unies, mettaient officiellement fin à la guerre cambodgienne. Le journaliste Huu Ngoc était au Cambodge lors du retrait des troupes vietnamiennes. Voici son témoignage.

>>Cambodge 1989 – Notes de voyage de Huu Ngoc (1)

De construction assez récente, Kee Saharam est le plus grand Vat de la ville de Siamreap.

Dans la salle de culture dont les fresques murales content les épisodes de la vie de Cakya Mouni, une statue dorée du Maître, haute de 3 m, trône parmi des bouddhas plus petits. Ici, l’homme fait bon ménage avec les divinités : contre le pan de mur à gauche de l’autel sont placés plusieurs lits de moine.

Deux bonzes nous reçoivent, assis sur le parquet de carreaux vernissés aux motifs modernes.

Monbon, 70 ans, cultivait la terre à une trentaine de kilomètres de l’agglomération. Sa femme ne lui avait pas donné d’enfant. Il a cherché refuge au sein du Sangha dès la restauration de la pagode après le départ des Khmers Rouges. «C’est aussi, dit-il, pour préserver le culte national».

Son condisciple Klong Lrut, 44 ans, véritable athlète aux biceps gonflés, habite la pagode depuis un mois et demi. Lui aussi n’a pas d’enfant ; il était réparateur de bicyclettes et de vélomoteurs. Les neuf autres bonzes que je n’ai pas rencontrés sont poussés sans doute par d’autres raisons à adopter la vie monacale. Je demande aux deux bonzes :

- Avez-vous eu des ennuis avec les soldats vietnamiens qui vont d’ailleurs être rapatriés ?

- Non, répond Klong Lrut, ils sont très différents des Khmers Rouges. Nous, on craint que ces derniers ne reviennent. Ce serait au détriment de notre religion.

La pagode Wat Preah Morakat à Phnom Penh.

Les retrouvailles sont parfois décevantes. Pas les miennes avec Angkor Vat et Angkor Thom.

Objet d’émerveillement de mes jeunes années, ils continuent à me hanter et à m’émouvoir. Je les préfère à Versailles au faste royal, au Kremlin avec ses bulbes d’or, à la Cité Rouge Interdite de Pékin, à la grande mosquée d’Ispahan, au Sans Souci de Potsdam, à tous les temples et palais magnifiques que j’ai admirés en Thaïlande, en Belgique, en Indonésie, au Japon…

Angkor déborde les frontières de l’imagination, défie l’entendement humain, offre une joie esthétique sans cesse renouvelée, vous invite à méditer sur le destin des peuples et le sens de la vie humaine.

Puôk, village du srock (district) du même nom, s’étend à quelque distance de la route Siamreap-Sisophon.

Un phum classique : pagode dotée de plusieurs stûpas, - grosses cloches en maçonnerie ou pyramides de grès finement ciselé, - mares de lotus, cocotiers, palmiers à sucre, cases parmi les rizières et les bosquets.

Le soir descend sur la campagne que trouble le concert assourdissant des crapauds-buffles. Ong Chnul, 57 ans fait plus vieux que son âge à cause de son crâne rasé hérissé de cheveux blancs. Il revient du repiquage. Nous causons en croquant les goyaves vertes apportées par sa fillette, assis sur le palier au-dessus de l’escalier de bois de la maison sur pilotis.

Ong Chnul a six enfants, l’aînée âgée de 28 ans, le cadet de six ans. Sans compter deux enfants qui ne sont jamais revenus de l’école depuis avril 1975, morts ou dispersés quelque part par les Khmers Rouges. La famille, avec la moitié des paysans relativement aisés du phum, a été concentrée dans une «commune populaire» à 30 km de là. Elle a survécu à la débâcle de Pol Pot, et peu à peu rattrapé le niveau de vie d’antan. Un fils suit le cours de médecines auxiliaires à la ville. Ong Chnul dit :

- On mange à sa faim, non la soupe maigre des camps. Mais nous craignons le retour de Pol Pot.

Le médecin militaire vietnamien Truong Quang Luât est connu et aimé à Stung Treng. Soixante ans, 45 ans de service, engagé comme combattant dès l’âge de 15 ans au lendemain de la Révolution de 1945, ce colonel a participé à trois guerres. Sorti docteur en 1965, il a servi tout de suite à Vinh Linh, «terre de feu» au 17e parallèle continuellement matraquée par l’USAF et la 7e Flotte américaine. Ses exploits sanitaires ont été fixés par la caméra du cinéaste hollandais Joris Ivens. Il a terminé la guerre de résistance anti-US comme chef d’une antenne chirurgicale des Forces armées populaires de libération du Sud Vietnam.

Une pause au Nord Vietnam de 1975 à 1980.

Les Vietnamiens sont prêts à donner du sang

En décembre 1980, Truong Quang Luât part pour le Cambodge à l’âge de 51 ans, chargé de mettre sur pied l’hôpital militaire unique du Front 579. Le Nord-Est cambodgien est une région de montagnes et de forêts insalubres, très impaludée. La vie n’était pas commode en 1983-1984, les incursions Khmers Rouges étant fréquentes. Il fallait creuser des tranchées, construire des baraques tout en soignant les malades et les blessés. On manquait de tout, surtout de sang. Tout le personnel sanitaire donnait son sang.

- Notre infirmière Lai, dit-il, a donné son sang cinq fois, chaque fois jusqu’à 250 mg. Grâce à ce dévouement, on a pu sauver des cas désespérés. Mémorable est celui du combattant khmer Somnam. Blessé à Prévihia d’une balle qui lui transperça la jambe, il n’a pu être transporté à notre poste que trois jours après. Une vingtaine de volontaires vietnamiens étaient prêts à donner du sang. L’opération a réussi, une opération qui tient du miracle.

Pray Thnom est un village typique de la province de Kampot. Peuplé de Cham, il a une population de 3.279 habitants groupés en 697 foyers.

Kom San, le président du Comité administratif du village, raconte :

- Les Khmers Rouges sont plus cruels que les tigres. Ils ont tué 9.000 habitants, brûlé 200 maisons. La principale colonne de ma maison ayant résisté au feu, ils l’ont coupée en morceaux pour en faire du bois de cuisine. Ils arrachèrent la soutane aux bonzes, transformant les pagodes en prison. Sans les Vietnamiens, nous aurions tous péri. Ils nous ont apporté de nouvelles techniques agricoles, des variétés nouvelles de riz et autres cultures vivrières. Nous produisons maintenant annuellement 370 kg de vivres par tête d’habitant.

Huu Ngoc/CVN

 

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