Brève de trottoir

À Hanoi, le premier trottoir est apparu en 1885, rue Hàng Kham (actuellement rues Tràng Tiên et Hàng Khay). Pensez-y la prochaine fois que vous irez déguster votre glace dans la fameuse rue Tràng Tiên.

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Vainqueur des Tây Son, Nguyên Anh ou le roi Gia Long (1762-1820) installa sa capitale à Huê en 1802. Thang Long (l’actuelle Hanoi) perdit alors sa fonction de capitale et en plus, fut rétrogradée au rang de ville de province. Elle entra dans une sorte de léthargie, et resta, jusqu’à la conquête française, dans l’état qu’elle avait été sous les Lê-Trinh.

La rue Hàng Kham d’autrefois (l’actuelle Tràng Tiên)

À cette époque, le quartier commerçant des «36 rues et corporations» (l’actuel quartier Hoàn Kiêm), le cœur battant de la ville, se transformait en bourbier dès qu’il pleuvait. Seules quelques rues habitées par des commerçants chinois telles que Phuc Kiên (l’actuelle Lan Ông) et Ma Mây étaient pavées de briques. Il n’y avait ni panneaux de noms de rue, ni numéros de maison, rendant difficile la gestion des habitants. En 1883, le chef de la Police de Hanoi et le gouverneur de la province Nguyên Huu Dô décidèrent d’aménager certaines rues.

Du trottoir lucratif...

Mais c’est avec Raymond Bonnal, premier Résident général de Hanoi, que les choses s’accélérèrent. Il se focalisa sur le secteur du Hô Guom (Lac de l’Épée restituée), et l’axe reliant la Concession (située au bord du fleuve Rouge) au lac - ce qui correspond en partie à l’actuelle rue Tràng Tiên. Fin 1885, la rue Hàng Kham (comprenant les actuelles rues Tràng Tiên et Hàng Khay) fut achevée. Elle fut la première à être équipée d’un trottoir selon le style occidental. En plus d’ouvrir des rues, Bonnal construisit des bâtiments à l’est du Hô Guom comme la Poste, la Mairie et la Trésorerie.

Toutes les rues le long de ces bâtiments étaient dotées d’un trottoir pour éviter que les colons ne salissent leurs beaux costumes immaculés. Ensuite, les rues Trân Hung Dao, Hàng Bài, Ly Thuong Kiêt, Hai Bà Trung et Bà Triêu furent équipées. Des rues du quartier des colons. Bonnal eut aussi l’intention d’installer des trottoirs dans le «quartier indigène», c’est-à-dire ce qu’on appelle à l’heure actuelle le Vieux quartier ou quartier Hoàn Kiêm.

La rue Tràng Tiên d’aujourd’hui.

De 1897 à 1901, 5 km de trottoirs supplémentaires furent construits. La ville réservait un budget annuel à cela. Le fameux restaurant Godard, une institution réputée de l’époque, donnait sur les rues Hàng Kham (Tràng Tiên maintenant), Dông Khanh (Hàng Bài) et Hai Bà Trung, qui toutes avaient des trottoirs. Devant les trois entrées de ce restaurant était inscrite en français, à même le sol, l’inscription : «Interdit aux vélos». Fin 1889, une décision autorisa la location de portions de trottoirs pour y faire du commerce, au prix de 40 sous/m²/an.

... au trottoir lieu de vie

De 1954 (année de la victoire de Diên Biên Phu, qui sonne le glas de la présence française en Indochine) à 1975 (année de la chute de Saigon et de la réunification du pays), les choses restèrent en l’état. Le pays était en guerre et entièrement tourné vers la victoire finale. Les trottoirs endommagés furent réparés avec «les moyens du bord», en l’occurrence des dalles dures comme de la céramique appelées «dalles en feuille de cocotier». Après 1975, les trottoirs n’étaient pas seulement des lieux piétonniers, mais aussi de véritables lieux de vie où l’on préparait le banh chung (gâteaux traditionnel de riz gluant) pour le Têt, lavait le riz, tentait de gagner sa vie.

De nos jours encore, le trottoir est un prolongement de la maison. Il sert à la fois de coin salon pour recevoir, prendre une bière, discuter entre amis. Il est très utilisé comme lieu de stationnement pour les innombrables motos. Il sert aussi d’espace de travail. Conséquemment, le piéton doit marcher dans la rue, à ses risques et périls. Le trottoir a quasiment perdu sa fonction première, celle d’accueillir le piéton.

De nos jours encore, marcher à pied dans Hanoi pose problème : la chaussée déborde de véhicules et le trottoir d’activités diverses. D’aucuns pensent qu’une ville sans trottoirs ou avec des trottoirs peu pratiques n’est pas une ville qui se visite, qui se vit, qui s’habite. À méditer...


Phong Delon/CVN

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