Au Vietnam, la musique symphonique a le blues

Ayant occupé une bonne place dans la musique nationale après 1975, la musique symphonique émet de graves notes depuis 20 ans. Le problème se pose aux orchestres de garder le rythme, maintenir le tempo, malgré un secteur en perte de vitesse.

Dès les années 1960, le Vietnam a mené une politique judicieuse de développement de la musique orchestrale. À cette époque, le pays possédait un orchestre national de plus de 100 membres, musiciens, chœur et solistes. Nombre d'oeuvres classiques du monde ont été interprétées avec succès, telles que l'opéra Eugene Onegin, la Sixième symphonie de Beethoven... C'était aussi l'époque de nombreuses œuvres célèbres de compositeurs vietnamiens connus comme la symphonie Quê huong (Pays natal) en quatre mouvements du compositeur Hoàng Viêt, ou encore les opéras Cô Sao (Dame Sao), Nguoi tac tuong (Sculpteur) de Dô Nhuân… Ces opéras et symphonies ont marqué l'apogée de la musique vietnamienne…

Nombre de talents du Vietnam étaient alors reconnus par le monde : les Artistes du Peuple et violonistes Ta Bôn et Bich Ngoc, les pianistes Nguyên Huu Tuân, Hoàng My, et Dang Thai Son qui a remporté le premier prix du Concours Chopin en 1980, ainsi que d'autres pianistes comme Tôn Nu Nguyêt Minh ou Dô Phuong Nhu…

Après 1975, le pays a possédé trois grandes écoles de musique, les conservatoires de musique de Hanoi, de Hô Chi Minh-Ville et de Huê. Chaque année, un grand nombre de musiciens et d'artistes en sont sortis. L'État a envoyé beaucoup de jeunes talents étudier dans les pays d'Europe orientale ou en ex-URSS. C'est ainsi que des professeurs et professionnels ont été formés dans des établissements réputés tel le Conservatoire de musique de Tchaïkovski (ex-URSS). C'était l'âge d'or de la musique symphonique du Vietnam.

Le vague à l'âme des philharmonies

Si la musique symphonique a connu une apogée il y a 50 ans, la musique symphonique semble aujourd'hui en bout de course, du moins en termes économiques. Le public ne s'intéresse pas à ce genre musical, le considérant trop savant. Pour écouter un concert, il faut selon eux un certain niveau de culture et de sensibilité... À cela vient ajouter une autre difficulté, l'arrivée de nombre de nouveaux mouvements culturels et genres musicaux qui offre au public un large éventail de choix pour leur divertissement... La pop a quasiment acquis un monopole avec la sortie en foule d'albums de jeunes chanteurs. Parmi ceux-ci, beaucoup de chansons sont écrites par des personnes n'ayant aucune formation en musique, que les professionnels considèrent comme "simples", sinon dépourvues d'intérêt esthétique... Malgré cela, on les entend partout, sur les scènes les plus diverses, dans les cafés, restaurants, échoppes, ou encore sur les téléphones mobiles.

"Les jeunes d'aujourd'hui sont privilégiés de part l'étendue des genres qui s'offrent à eux mais, malheureusement, ils ne s'intéressent pas à la musique symphonique", déclare Pham Trong Chuong, responsable de la faculté de musique symphonique et de piano de l'École supérieure des arts de Hanoi. Il ajoute que "beaucoup de chansons ont des paroles superficielles, voire vulgaires. Des chansons certes faciles à mémoriser mais tout aussi prompte à être oubliées... Et pourtant elles connaissent un grand succès chez beaucoup de jeunes".

Sur le marché de la musique, le classique ne trouve que fort peu d'amateurs. Dans les boutiques de disques, la place consacrée à la musique symphonique est modeste. Lê Sy Lâm, propriétaire d'une boutique dans la rue Câu Giây à Hanoi, explique qu' "il n'y a pas beaucoup de gens qui demandent du classique. Parfois je vends quelques disques de guitare classique. À l'ouverture de ma boutique, je proposais tous genres de musique, mais comme le classique se vend mal, aujourd'hui je n'en propose plus".

Depuis quelques années, aller à un concert de classique est une vogue à Hanoi, mais les spectateurs ont une tendance à "populariser cette musique réputée intellectuelle". Ainsi, l'important pour eux est de savoir applaudir à la fin de l'interprétation d'un opéra, tout en ignorant que l'on peut le faire à la fin de chaque acte du livret...

Un investissement insuffisant

En quête des raisons de cette indifférence du public, on cite pêle-mêle que le classique est difficile à comprendre, que les musiciens ne l'interprètent pas bien, ou ne parviennent pas à convaincre leur public... Pham Trong Chuong, responsable de la faculté de musique symphonique et de piano de l'École supérieure des arts de Hanoi, avance une autre explication : "La musique symphonique se retrouve dans un contexte difficile. Le public s'intéresse plutôt au développement économique, au cours de l'or ou à la bourse. C'est compréhensible, c'est lorsque l'on a une vie matérielle agréable que l'on se préoccupe alors de sa vie spirituelle..."

Il y a cependant une autre grande raison qui tient à une inégalité entre les arts en terme d'investissement, souligne le musicien - compositeur Dô Hông Quân, président de l'Association nationale des musiciens (ANM). "Or, la musique classique ne bénéficie ici d'aucun privilège", ajoute-t-il immédiatement, précisant "qu'il lui fait même défaut d'une scène propre, dans la capitale, tous concerts, programmes de variétés, pièces de théâtre, et même des conférences, ont lieu à l'Opéra de Hanoi. Or cet édifice pour fameux qu'il soit est trop petit avec seulement une capacité de 600 places. Interpréter un concert cinq fois par jour pour le plaisir de 3.000 auditeurs ? C'est humainement intenable pour les interprètes et, en tout état de cause, demeurerait incomparable à un seul concert de musique pop au stade de My Dinh (Hanoi)...". Avec cet exemple, Dô Hông Quân s'interroge. Comment le classique peut avoir ses propres spectateurs dans une telle situation où il ne peut se représenter ? Et sans spectateurs, la musique classique n'a pas de raison d'être.

Un investissement satisfaisant de l'État fait défaut pour assurer le développement de la musique symphonique, affirme Nguyên Van Minh, directeur adjoint de l'École supérieure des arts de Hanoi (ESA). "Aujourd'hui, l'intérêt pour l'écoute d'oeuvres classiques est revenu chez une certaine partie du public. Ainsi, l'investissement de la part de l'État est d'autant plus nécessaire", continue le directeur adjoint de l'ESA. Partageant une cette opinion, Pham Dinh Thang, chef adjoint du Département de représentation artistique du ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme, explique : "l'État s'intéresse aux arts, mais comme une mère ayant trop d'enfants, il ne peut tout faire en même temps et a besoin de temps… Nous espérons que la musique classique possède bientôt sa propre scène".

Comment faire pour que la musique symphonique retrouve une place digne de sa valeur comme une place dans le cœur des mélomanes ? Cela exige des efforts de tous, des musiciens et professionnels comme des décideurs et du public lui-même.

Hoàng Hoa/CVN

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