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L’art du "khayamiya" remonte à l’époque des caravanes itinérantes, lorsque d’immenses pavillons de tentes étaient érigés pour se protéger du soleil brûlant du désert. |
"J’ai appris le métier à 8 ans", raconte cet homme de 68 ans, surnommé par ses clients Mohsen "Khayami". "Cela m’a pris des années avant que je puisse le maîtriser et pouvoir finir entièrement moi-même une toile en tissu", se souvient-il.
Assis en tailleur dans sa boutique du quartier historique du Caire, l’homme coud à la main des pièces de tissu en coton sur des toiles aux tailles variables, à but ornemental.
Désintérêt des jeunes
Les murs recouverts de couleurs chatoyantes et de motifs multiples, sa boutique est l’une des plus attractives de la rue Al-Khayamiya, près de l’antique Bab Zouweila, une porte du XIe siècle, dans l’est de la capitale.
Cette rue, qui pullulait jadis de touristes, est aujourd’hui moins fréquentée. L’instabilité politique et sécuritaire qui a suivi le soulèvement populaire de 2011 a plombé le secteur du tourisme, l’un des plus importants du pays. Malgré la crise, Mohsen Chaabane expose toujours avec fierté ses œuvres agrémentées d’arabesques, de motifs pharaoniques, de scènes de la vie quotidienne ou encore de proverbes arabes et textes coraniques en calligraphie Koufi. Sacs, coussins, dessus de lit, ces œuvres peuvent orner de nombreux supports.
Pour les plus jeunes, l’artisan représente des scènes des contes folkloriques de Joha, un célèbre personnage humoristique de la culture arabe, toujours représenté avec son fidèle âne. Les récits de leurs aventures offrent souvent aux enfants et aux adultes des leçons de vie précieuses.
L’art du "khayamiya" remonte à l’époque des caravanes itinérantes, lorsque d’immenses pavillons de tentes ("khayma" en arabe) étaient érigés pour se protéger du soleil brûlant du désert. Popularisé à partir de la dynastie des Fatimides (Xe-XIIe siècles), cet artisanat remonterait tou-tefois selon certains historiens à l’époque des pharaons.
Des "khayamiya" exposés dans une échoppe du Caire. |
Aujourd’hui, les "khayamiya" servent de décoration dans les mariages, les funérailles et les célébrations religieuses, telles que le ramadan ou le "mawlid, l’anniversaire du prophète Mahomet. Mais le ralentissement de la demande, alimenté par une grave crise du tourisme, fait craindre aux rares artisans qui exercent encore le métier de le voir disparaître.
Le nombre exact d’artisans reste difficile à estimer dans ce secteur largement informel. Dans la rue "Al-Khayamiya", il est passé de 60 à environ 20 dans les années 1980. Une tendance encore à la baisse depuis 2011, selon la Chambre de l’artisanat.
Outre la crise du tourisme, le métier souffre du manque d’intérêt des jeunes, souvent en quête de professions plus modernes et lucratives. "Les jeunes n’ont pas la patience d’apprendre un métier qui demande du temps avant d’être maîtrisé", estime M. Chaabane.
Dans sa boutique, Abdallah Fathi, un artisan de 31 ans, est penché sur un morceau de tissu. Initié à l’âge de 15 ans, il peut aujourd’hui passer une journée entière à coudre une petite pièce.
Celles qui s’étalent sur plusieurs mètres peuvent nécessiter un mois, voire davantage, en fonction de la complexité du dessin. Prix des ouvrages: de 50 livres (2,50 euros) à plusieurs milliers de livres (50 euros et plus). "Si les artisans continuent à abandonner le métier les uns après les autres, il pourrait bientôt disparaître", s’inquiète M. Fathi, qui se dit déterminé à perpétuer la tradition.
Maintenant, les "khayamiya" servent de décoration dans les mariages, les funérailles... |
Clientèle touristique
Le renouveau du tourisme récemment enregistré par les autorités égyptiennes offre une lueur d’espoir à M. Fathi et ses compagnons d’aiguilles. Peu à peu, les visiteurs étrangers reviennent arpenter les ruelles du quartier historique. "C’est vraiment beau. C’est une chose qui pourrait m’intéresser", confie David Pullins, un touriste américain, en parcourant la rue Al-Khayamiya.
Mahmoud Fatouh, 48 ans, qui gère une boutique appartenant à sa famille depuis les années 1900, souligne l’importance des touristes pour ses affaires: selon lui, ils constituaient "plus de 98%" de sa clientèle avant les événements de 2011.
Avec 8,3 millions de visiteurs en 2017, selon les chiffres officiels, l’Égypte reste encore loin des 14,7 millions de touristes enregistrés en 2010. Les chiffres officiels pour 2018 n’ont pas encore été publiés. Mais selon l’Association des agences de voyages égyptiennes, le nombre de touristes a augmenté de 40% en 2018 par rapport à l’année précédente. Cet organisme vise même une nouvelle hausse de 30% à 40% pour 2019.
"Nous voyons plus de touristes maintenant", se réjouit Mohsen Chaabane. "Ce n’est pas la même chose qu’avant (2011), mais c’est toujours mieux que rien", se console-t-il.
AFP/VNA/CVN