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Des pompiers luttent contre un incendie à Uguay, le 22 février dans le Nord-Est de l'Argentine. |
Les chiffres ne parlent pas, ou si peu. Deux mois de feux mais pas une victime humaine recensée et quelques dizaines de familles évacuées, d'habitations détruites. Mais Uguay, un hameau en bordure du Parc naturel d'Ibera, une zone humide, illustre la désolation locale.
Les flancs de la Route 40 qui mène à Uguay (780 km de Buenos Aires) ne sont que tapis noircis à perte de vue. La pinède a brûlé il y a une semaine mais des fumeroles sont encore visibles, à la merci d'un souffle de vent pour être ravivées. Entre dimanche et lundi 21 février, 50.000 hectares y ont brûlé.
Les yeux rougis par la fumée, Carlos Sanchez, un petit éleveur bovin fait des va-et-vient avec des citernes d'eau pour aider les pompiers. "On se relaie avec une douzaine de voisins, pour aider avec nos moyens", explique-t-il.
Ailleurs dans la province ce sont des pâturages, rizières, zones boisées, cultures d'herbe à (infusion de) maté, une grosse production locale, qui sont partis en fumée.
Au total 785.000 ha en deux mois, selon l'Institut de technologie agricole (INTA), l'équivalent des deux-tiers de l'Ile-de-France. "La situation est critique, l'incendie incontrôlable", explique Mauricio Alba, chef des pompiers d'une brigade venue en renfort de Cordoba, comme d'autres provinces, de Bolivie et du Brésil voisins. "Le vent est très changeant à Corrientes et les prévisions de pluie, seule chose qui aiderait, sont tombées à 20%. Le feu ne faiblit pas".
Humide... sans eau
Le, ou plutôt les feux. Dans cette province plus grande que l'Autriche, le Service national de gestion des incendies faisait état mardi de 10 foyers toujours actifs, distants pour certains de centaines de kilomètres. Pas des "méga-feux" spectaculaires, comme ceux ayant ravagé Australie ou Californie ces dernières années, et dont un rapport de l'ONU-Environnement a mardi prédit la multiplication à l'avenir. Mais des feux quasi-constants en été, omniprésents. Presque endémiques.
C'est tout un écosystème qui souffre, jusqu'au parc des Esteros de Ibera, vaste réseau de marécages et d'étangs de 12.000 km2, une zone humide... sans eau. Selon l'INTA, la surface couverte d'eau y est normalement de 40% à cette époque, contre 10% actuellement. Une sécheresse "colossale" de plus de deux ans, selon le vice-ministre l'Environnement Sergio Federovisky.
Vue aérienne d'un incendie à Uguay, le 22 février dans le Nord-Est de l'Argentine. |
"On n'a jamais rien vu de tel. Mais le problème n'est pas que le feu, aujourd'hui c'est ce qui vient en termes économiques et sociaux", souffle Carlos Sanchez. "Je ne pleure jamais, mais je pense que parfois l'homme doit pleurer, les revenus ici vont chuter à 30%".
Coninagro, une confédération regroupant des coopératives agricoles, estime que la filière du riz à Corrientes a perdu 44 millions d’USD à la suite des incendies, celle de l'herbe à maté plus de 4 millions, l'élevage 78 millions.
Dans le parc d'Ibera, des animaux réintroduits récemment, tels les fourmiliers, des poussins de perroquets aras, ont été évacués. Une grande partie des espèces est indemne "à l'abri dans la zone centrale du parc", explique Sofia Heinonen, biologiste de l'ONG Rewilding Argentina, qui suit les espèces dans le parc.
Bombe à retardement
Pour l'instant. Car le feu est aussi présent au coeur des estuaires de l'Ibera, "où se trouve une île où se reproduisent les jaguars", plus grand félin des Amériques, que Rewilding réintroduit actuellement. Si à terme les animaux n'ont nul part où aller, c'est de faim qu'ils mourront.
Surtout, nul se sait vraiment quand le combustible se tarira. La zone humide "contient des matières (végétales) en décomposition qui flottent, mais si elles sèchent, elles se transforment en tourbe et cette matière organique reste en combustion. "Une bombe à retardement", s'inquiète Sofia Heinonen.
Les flammes de Corrientes ne doivent pas pour autant conduire "à diaboliser le feu", souligne Sebastian di Martino, biologiste à Rewilding Argentina. "C'est une régénération des prairies qui se produit naturellement de temps en temps". Mais "le changement climatique a transformé ce feu, naturel et souhaitable ici, en une catastrophe", en asséchant les cours d'eau qui jadis le freinaient.
Près de 80 plaintes ont été déposées contre ces incendies, très souvent liés à des brûlis "contrôlés". La pratique ne cessera pas, mais il faudra l'adapter "vers des zones marginales car nous aurons de plus en plus de changement climatique", a-t-il averti.
AFP/VNA/CVN