Afghanistan : les femmes qui tuent, une incongruité dans l'univers taliban

Au nom des talibans, Nasreen et Muzghan ont assassiné des membres des forces afghanes. Mais pour ne pas renier leur vision ultra-conservatrice du rôle de la femme, les insurgés passent sous silence leur contribution.

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Vidéo de Muzghan, une Afghane qui a avoué être membre des talibans, le 12 novembre.

Ces deux Afghanes faisaient partie des 400 derniers prisonniers talibans, considérés comme les plus dangereux, parmi les 5.000 rebelles relâchés par Kaboul cette année, et dont la libération a permis l'ouverture de pourparlers de paix en septembre à Doha.

"J’ai été arrêtée pour meurtre, enlèvement et coopération avec le réseau Haqqani", explique Muzghan, la voix décidée et le regard déterminé sous son voile en tissu camouflage, dans une vidéo enregistrée avant son élargissement. "Je ne rejoindrai pas ce groupe à nouveau", assure la jeune femme à la main tatouée, en référence à ce réseau sanglant lié aux talibans et qui réalise leurs opérations les plus complexes.

L’AFP a pu consulter les dossiers judiciaires des deux femmes, et la liste des 400 prisonniers problématiques dont elles faisaient partie. Dans ce groupe, figurait aussi l'Iranienne Nargis, qui avait abattu un conseiller américain en 2012.

L'âge de Muzghan n'est pas connu, mais elle semble sur la vidéo avoir une trentaine d'années. Si ses yeux pétillent, ceux de sa tante Nasreen, 45 ans, arrêtée pour les mêmes crimes, sont fatigués et injectés de sang dans une autre vidéo filmée à sa libération.

Comme dans beaucoup de familles afghanes, les deux femmes ont des proches tant chez les rebelles que chez les forces de l'ordre, deux camps qui se livrent une guerre à mort depuis que les talibans ont été chassés du pouvoir en 2001 par une coalition internationale menée par les États-Unis.

Appât

Deux hommes, un beau-fils et un beau-frère de Nasreen, en paieront le prix. L'un sera empoisonné. L'autre mourra dans l'explosion d'une bombe qu'elles auront placée dans sa voiture. Avec Muzghan, elles assassineront également chez elles un agent des renseignements en utilisant une fille de Nasreen comme appât, "sous prétexte de lui vendre son corps", raconte une source sécuritaire.

Les deux femmes participeront aussi à deux attaques, dont l’une à la grenade. Elles seront arrêtées en 2016 puis condamnées à mort pour meurtre, activités terroristes et appartenance aux talibans. Le cas de ces tueuses est "presque du jamais vu", tant pour les insurgés "la place de la femme est à la maison", s'étonne Ashley Jackson, de l'Overseas Development Institute, un centre de recherche britannique.

"Leur permettre de prendre part, ou admettre qu'elles ont joué un rôle dans la guerre irait contre les principes fondamentaux du mouvement", poursuit-elle. "Si une femme peut se battre, qu'est-ce qui l'empêche de sortir de la maison seule, ou d'enfreindre d'autres restrictions ?"

Le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, a en effet nié les crimes commis par Nargis, Nasreen et Muzghan, les qualifiant "d'ordinaires membres de familles" talibanes arrêtées lors d’opérations américaines. "Évidemment les femmes membres des familles (d'insurgés) coopèrent (...) Mais les femmes ne sont pas incluses, recrutées et n'ont pas pour ordre de prendre part aux opérations", a martelé M. Mujahid à l'AFP. "C'est interdit. Nous n'avons pas besoin d'elles".

Pour un membre du gouvernement proche du dossier, les trois condamnées, à défaut d'être des "talibanes", pourraient être "des criminelles qui travaillaient pour les talibans pour de l’argent".

"Jamais sous pression"

Selon Matthew Dearing, chercheur à l'Université de la Défense nationale aux États-Unis, les talibans ont ainsi, contrairement à d'autres groupes insurgés, continué d'exclure les femmes de leur lutte car ils le pouvaient. "Les talibans n'ont jamais été poussés à un point de pression tel par les forces de l'OTAN que cela aurait nécessité qu'ils repensent leurs tactiques d'une manière qui les aurait forcés à changer leurs normes", explique-t-il, qualifiant les trois femmes de phénomène "extrêmement rare".

Le cas de Nargis interroge davantage encore: Iranienne mariée à un Afghan et policière à Kaboul, elle a tué un conseiller américain le 24 décembre 2012 dans les quartiers généraux de la police de la capitale. Si son acte a été à l'époque mis sur le compte d'un déséquilibre mental et que son lien avec les talibans n'était pas apparent, Nargis s'est quand même retrouvée sur la liste noire des prisonniers demandés par les insurgés après avoir été condamnée à la peine capitale pour meurtre et espionnage.

"Elle n'était pas du tout malade mentale", insiste une source gouvernementale. Dans son dossier, elle dit avoir agi sous les ordres d'un homme rencontré à l'ambassade iranienne, qui lui aurait promis visa, maison, voiture et travail en Iran.

Selon des responsables talibans, deux autres femmes, membres de familles d'insurgés, figuraient parmi les 5.000 prisonniers talibans récemment libérés. Plusieurs responsables rebelles ont confirmé la libération des captives, qui seraient rentrées chez elles.

AFP/VNA/CVN

 

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