À votre service !

Le Vietnamien aime rendre service ! Celui qui dira le contraire n’habite pas au Vietnam ou alors n’a pas saisi toutes les facettes de la serviabilité à la vietnamienne. Car ici, donner un coup de main ou dépanner, et aider ou assister, tout est en nuance…

Les adeptes de l’analyse transactionnelle connaissent les différentes attitudes que l’on peut prendre vis-à-vis d’autrui : adulte, parent, enfant. Dans la vie quotidienne, le Vietnamien est à la fois enfant rebelle et parent sauveur. Enfant rebelle quand il n’en fait qu’à sa tête avec le Code de la route par exemple, ou qu’il prend quelques libertés avec les règles imposées. Parent sauveur quand il s’agit d’aider l’égaré ou l’embourbé. Mais attention, pas n’importe qui et pas n’importe quand, même si c’est n’importe comment !

Dépannage gratuit…

Ce soir, j’offre une découverte du Hanoi nocturne à des amis. Une moto louée pour lui, son épouse assise derrière moi, et nous parcourons à un train de sénateur les sites illuminés de la capitale : Ba Dinh, Hoàn Kiêm, l’Opéra… La mosaïque du millénaire défile à notre droite, alors que nous nous dirigeons vers le pont Long Biên que je propose de traverser pour découvrir la vie qui l’anime le soir venu. Petit arrêt à la buvette sauvage installée sur la première plate-forme. Entre deux couples d’amoureux, nous distinguons dans l’obscurité le lit asséché du grand fleuve qui attend les pluies de printemps. La soirée est fraîche, les motos sont confortables, la circulation est fluide…, que demander de plus !?

Le pont Long Biên, à Hanoi.

Le pont traversé dans un sens, nous décidons de le repasser immédiatement pour rejoindre nos pénates. Et c’est dans le grand virage qui nous fait revenir sur l’autre chaussée du pont que la belle mécanique se dérègle. Je parle autant de notre promenade que de la moto de mon ami. Alors qu’il est, depuis le début, constamment présent dans mon rétroviseur, je constate sa disparition. Ralentissement pour le laisser revenir à ma hauteur : la forme caractéristique de son phare ne se dessine toujours pas sur mon miroir de droite. Arrêt et regard inquiet vers l’arrière : il arrive en poussant son deux-roues au milieu du flot qui s’engage sur le pont. Brusquement, sa moto s’est étouffée, et le ronronnement régulier du moteur s’est transformé en un vague toussotement cacochyme, avant de s’achever en un râle d’épuisement. On improvise un atelier de réparation au bord du trottoir, dont l’activité se limite à tenter de faire redémarrer le moteur. Lequel nous fait ce plaisir pour s’arrêter immédiatement dès que l’on tente d’accélérer. Nos connaissances en mécanique étant du même niveau que celui du fleuve Rouge que nous venons de traverser, je me gratte le casque pour savoir où je vais trouver à 09h00 du soir un réparateur de moto dans un endroit aussi désert que ce bout de Gia Lâm, à l’extrémité du pont Long Biên...

C’était sans compter avec le caractère serviable du Vietnamien, fut-il de passage. En moins de temps qu’il ne m’en a fallu pour écrire ces mots, un attroupement s’est fait autour de nous. Alors que je décide d’utiliser ces ressources humaines pour m’enquérir d’un mécanicien apte à nous permettre de rentrer assis sur la moto plutôt que debout à côté, je n’ai même pas le temps d’achever ma phrase que déjà un des attentifs spectateurs prend les choses en main, le guidon en l’occurrence ! Pendant que deux autres s’instituent conseillers, le réparateur improvisé manipule les commandes, met les gaz, et saute sur la moto qui s’emballe et file à toute allure. Ce n’est pas l’inquiétude de ne pas revoir la moto qui me donne des yeux de merlans frits, mais la rapidité avec laquelle notre sauveur a résolu le problème. Sauveur qui revient quelques secondes plus tard, en nous rendant fièrement une moto de nouveau opérationnelle. On se serre la main, on se donne de coups sur l’épaule pour se congratuler, on nous souhaite bonne route…, et voilà ! Personne ne m’a tendu la main pour demander un remerciement en billets : nous étions dans la panade, on nous en a sortis, la vie continue. Je ne connaîtrais jamais le nom de celui qui nous a permis de terminer agréablement notre promenade. Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas un ange, sans doute un peu trop musculeux, tatoué et l’air canaille, mais un ange tout de même, car à quelques mètres de chez nous, cette satanée moto s’est de nouveau étouffée.

Besoin d’un coup de main ?

C’est d’ailleurs ce qui est remarquable ici ! La notion d’aide est indépendante de la notion d’efficacité. Il s’agit d’aider sur le moment, sans se préoccuper de savoir si on a réglé le problème ! Petits exemples…

Un des tubes à néon de ma chambre a rendu l’âme. Je décide de la changer, et pour cela demande à mon voisin de me prêter son escabeau. Non seulement l’escabeau vient chez moi, mais avec le voisin, qui d’autorité décroche mon tube et met à sa place celui que j’ai acheté. On allume : ça ne fonctionne pas. Nouvelle escalade de l’escabeau, manipulation du tube, nouvelle tentative d’allumage, le néon clignote, de façon suspecte pour moi, mais qui satisfait suffisamment mon sauveur pour qu’il disparaisse avec son escabeau. Évidemment, le néon ne fonctionne pas, et il faut que j’aille acheter un escabeau, car de nouveau solliciter mon voisin serait lui faire perdre la face : son aide n’aurait servi à rien !

J’écris cette chronique depuis un hôtel perdu en montagne, en attendant que mes compagnons de voyage viennent frapper à ma porte pour aller découvrir le «pho» local. À la réception, j’avais demandé si le Wifi existait dans l’hôtel. Oui, dans toutes les chambres, m’assura-t-on! Je connecte : rien. J’alerte la réception, et deux minutes plus tard, le gérant de l’hôtel, son homme à tout faire, et un voisin qui passait par là, envahissent ma chambre. J’évite de peu qu’ils n’entrent dans la salle de bain où se trouve ma femme ! Après avoir ouvert les armoires, vérifié la télé, et testé toutes les prises de courant, ils concluent qu’il y a le Wifi, mais pour montrer combien ils sont serviables, ils vont dans el couloir, décrochent un modem souffreteux qui se trouve là, et l’installe dans ma chambre, en équilibre instable sur la télévision, en débranchant le frigo. J’allume mes connexions sous l’œil attentif de mes sauveurs. Une connexion aussi faible qu’intermittente s’affiche. Sourires satisfaits des informaticiens en herbe, qui ne demandent pas leur reste pour se retirer, alors même que la Toile se refuse toujours à mon ordinateur. Je n’ai pas de connexion Internet, je n’ai plus de frigo, ma télé est brouillée, mais il y a trois personnes au moins qui sont heureuses : elles m’ont aidé !

C’est par où pour aller là-bas ?

Un jour d’escapade du côté de Dà Lat, dans la province de Lâm Dông (hauts plateaux du Centre). Parti en exploration motorisée, j’avais misé sur un de ces nombreux guides touristiques proposés librairie pour tenter de rejoindre un site sensé être remarquable par sa beauté et son intérêt historique. Cependant, après quelques kilomètres parcourus sur une route sinueuse, force me fut de constater que la description de l’itinéraire était d’une telle imprécision que j’en arrivais à me demander si la main qui l’avait rédigée n’y avait jamais mis les pieds (comme dirait Dumas !). Je m’arrête près d’un autochtone, misant sur sa parfaite connaissance des environs, pour m’éviter de tourner en rond. Étonnement, sourires, indications ponctuées de gestes frénétiques, remerciements… Je repars confiant en mon cicérone, avec la hâte du bambin auquel on vient d’offrir son cadeau de Noël. Je dévore les kilomètres à toute allure, jusqu’au moment où une rapide analogie mathématique entre le temps passé à rouler, la vitesse de mon véhicule et la distance parcourue me convainc de la possibilité que le renseignement endogène n’était pas plus fiable que l’allogène !

Soucieux de valider l’exactitude de mon raisonnement, je m’enquiers auprès du premier passant venu de la validité du parcours que je dois réaliser pour atteindre ce site qui commence à se faire un peu trop désirer. Étonnement, sourires, et rectification accompagnée de gestes frénétiques : je dois faire demi-tour, je ne suis pas du tout sur la bonne direction…

J’ai dû demander plus d’une dizaine de fois ma route pour arriver à mon but. En Occident, j’aurais sans doute maudit ces satanés péquenots, incapables de donner des informations exactes au voyageur égaré. Ici, il y a belle lurette que je sais qu’il ne faut pas confondre aider quelqu’un et le dépanner !

Illustration parfaite du vieux proverbe : «Ce n’est pas le résultat qui compte, seule l’intention est importante !».

Gérard BONNAFONT/CVN

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