À ne pas mettre un chien dehors !

On prétend que ce qui occupe le plus la conversation entre nous, c’est le temps qu’il fait, qu’il fera ou qu’il a fait ! Quels que soient les cieux où nous sommes, le ciel nous cause bien des tracas. Au Vietnam particulièrement…

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En Europe, août est le mois des vacances, des moissons, du soleil de plomb sur les corps bronzés en bord de plages. En Asie, et surtout en Asie du Sud-Est, c’est le temps des moussons, ces vents qui nous viennent de l’océan et qui amènent avec eux des trombes d’eaux, tempêtes tropicales et autres joyeusetés humides. Justement à l’heure où j’écris ces lignes, la tempête Dianmu passe sa colère sur Hanoï, avant d’aller se faire voir au Laos voisin. Pas de quoi vraiment s’inquiéter, habitués que nous sommes à voir tomber le ciel sur nos têtes, mais juste de quoi nous agacer dans notre vie quotidienne.

Quand il pleut à Yên Bái (Nord-Ouest), cela ne fait pas semblant.
Photo : Thê Duyêt/VNA/CVN

Ça tombe dru

Ça a commencé la semaine dernière. Avec des amis, nous avions décidé de fuir la chaleur infernale de la capitale pour aller respirer l’air frais des montagnes. Quoique, c’est de fraîcheur relative qu’il faudrait parler, puisque ici, l’altitude ne fait pas peur à la colonne de mercure qui se complaît à gravir les degrés avec l’agilité d’un alpiniste chevronné. Mais c’est l’espoir au cœur que nous partons à la recherche de vents généreux qui pourraient nous réconcilier avec cet été de feu.

Nous quittons Hanoï avec un ciel bleu, qui devient de plomb dès les premiers plateaux, annonçant sans ambiguïté l’arrivée de ce que l’on désigne communément sous le terme de précipitations importantes. En d’autres termes, le ciel se noircit, les nuages ouvrent leurs vannes et, en un instant, d’énormes gouttes s’écrasent sur le pare-brise de notre voiture. Attiré par le bruit, un vent violent se lève et s’amuse à jeter à terre branches et arbrisseaux.

Pour éviter la rencontre inopinée entre carrosserie et tronc d’arbre, notre chauffeur prend la judicieuse initiative de s’arrêter sur une place de village, dégagée de toute végétation. Pendant une heure, enfermée dans notre forteresse automobile immobile, nous assistons, comme au cinéma, aux envols d’enseignes qui se prennent pour des cerfs-volants, aux chutes de tuiles et autres couvertures de toits qui décident d’aller voir si la vie au sol est plus confortable, aux fuites éperdues de chiens trempés et de rats humides…

Après la pluie, le beau temps. Une fois encore, le dicton se vérifie, et profitant du désintérêt des éléments pour les pauvres humains que nous sommes, nous reprenons la route dès la fin de la chute de pluie et autres objets divers.

Las ! Le mot route n’est d’actualité que sur quelques kilomètres, car, très vite, notre véhicule se trouve face à un obstacle de taille : un mur de pierre et de boue qui a décidé de s’installer sur la chaussée.

En coutumiers des glissements de terrain qui ponctuent les fortes pluies, nous décidons d’attendre la pelleteuse salvatrice qui viendra nous ouvrir le chemin. Une nouvelle heure en huis clos à pronostiquer sur les aléas de la météo au Vietnam, à écouter les CD rayés que notre chauffeur nous met obligeamment, à commenter la relative rapidité avec laquelle la route est de nouveau accessible, et nous repartons… pour stopper de nouveau un peu plus loin.

Cette fois, c’est un arbre gigantesque qui n’a pas supporté la furie de la tempête, et qui s’est affalé de tout son long en travers du bitume. Ce coup-ci, on est bon pour saucissonner sur nos banquettes. Ce que nous faisons grâce à l’initiative de mon épouse qui a gardé sous la main de quoi improviser un casse-croûte. En mastiquant «nem» et «giò», nous regardons d’un œil torve les tronçonneuses qui transforment le géant en bois de chauffage, triste tribut à un ciel capricieux. Lequel ciel ne s’est pas contenté de transformer notre escapade en saut d’obstacles.

En effet, l’hôtel qui nous accueille en fin de journée ne nous offre, en guise d’éclairage, que quelques lumignons pâlichons qui absorbent l’ensemble de l’énergie d’un générateur poussif. Résultat d’un coup de foudre intempestif sur le transformateur local ! Il faudra attendre toute une nuit, dans la moiteur d’une chambre sans ventilateur, que les hommes reprennent le contrôle de leur vie, ou du moins celui du compteur électrique.

Ça monte vite

Ça a continué hier ! Accompagné de ma fille, j’avais conduit des amis à un terminal pour y attendre l’énorme car-couchettes qui devait les conduire à Huê (Centre).

Déjà, le ciel s’était dangereusement couvert depuis la fin d’après-midi, et les premières gouttes de pluie commençaient à scintiller sous les lumières de la ville. Le premier signal d’alerte a retenti dans mon esprit en recevant des réponses négatives des compagnies de taxi auprès desquelles je sollicitais un taxi pour me rendre de l’hôtel à l’embarcadère du bus. Quand les taxis se font réticents, c’est qu’un gros orage se manifeste quelque part et s’il n’est déjà sur nous, il va nous tomber dessus incessamment.

Par chance, deux téméraires, hélés au passage, acceptent de nous emmener à bon port. Sauf que leur témérité prend fin dès les premiers embouteillages qui ne préfigurent rien de bon pour la suite. Aussi décident-ils de nous bouter hors de leurs véhicules en nous conseillant de terminer à pied… Juste quelques dizaines de mètres selon eux !

Chargés comme des baudets, l’œil rivé sur la montre de crainte de louper le départ du bus, c’est plus d’une centaine de mètres que nous parcourons sous une pluie qui de fine devient grosse. Les vannes s’ouvrent complètement quand nous nous engouffrons dans une minuscule salle d’attente, encombrée d’énormes ballots de marchandises. L’exiguïté de la pièce devient critique quand une foule de routards chargés de sacs à dos plus gros qu’eux envahit l’espace pour se mettre à l’abri. Tant bien que mal, nez dans le sac du voisin, chacun essaie de trouver sa place en méditant sur le sort peu enviable des sardines en boîte. Et dehors, ça tombe, ça crépite, ça dégouline.

Lorsque le bus arrive, la dizaine de mètres à franchir pour que mes amis y pénètrent suffira à les tremper comme une soupe. J’ai l’impression de les voir monter dans l’arche de Noé ! Eux, au moins, seront sauvés. Rapide au revoir humide, derniers signes de main derrière les vitres, le car s’ébranle et vogue vers son destin.

Maintenant, je dois rejoindre mes pénates, avec ma fille que j’ai sauvée in extremis, confondue qu’elle aurait pu être avec les sacs de marchandises sur lesquels elle était assise.

L’appel à taxi est lancé, ma fille a faim, de taxi point ! J’aurais dû m’en douter. Au moment où germe en moi l’idée que peut-être il me faudra trouver un hôtel à proximité pour y passer la nuit, un taxi brinquebalant arrive on ne sait d’où. Ayant capté la demande de rapatriement, il a répondu présent. Quel brave ! Combien je lui suis redevable d’affronter les éléments pour permettre à une petite fille et son papa de rejoindre leur maison !

Sa redevance, il la manifeste aussitôt : 200.000 dôngs pour faire un trajet qui habituellement me coûte 60.000 dôngs. Et pour montrer que l’enjeu en vaut la chandelle, il m’explique que là où nous allons, les rues sont inondées, qu’il y a des embouteillages, et que si je ne me plie pas à ses conditions, je peux aller me faire voir ailleurs.

Mon héros n’est finalement qu’un mercenaire, mais qu’importe, il faut rentrer ! Sur le parcours, je constate que le chauffeur m’a vendu une demi-vérité : aucun embouteillage. Les rues sont quasiment vides, mais, en revanche, plus on avance, plus le niveau de l’eau augmente. Et c’est à 100 m de ma ruelle que tout se complique : l’eau arrive à la hauteur du pot d’échappement. Si le taxi s’arrête, il ne pourra pas redémarrer.

Fendant les flots, nous passons devant ma petite ruelle, pour rejoindre une voie un peu plus en hauteur d’où, délestés de 200.000 dôngs, nous allons tenter d’atteindre notre maison.

Devant cette eau boueuse, chargée d’immondices où flottent des choses innommables, je décide de prendre ma fille sur mon dos. L’une agrippée aux épaules de l’autre, nous remontons le courant nauséabond. L’eau à mi-mollet, je me fraie un chemin en priant le ciel pour ne pas glisser avec mon fardeau. Ça pue, ça cataracte, ça véhicule des tonnes de bactéries redoutables…

Il faudra 200 m avant d’arriver à ma ruelle qui, par la grâce d’une pente naturelle, se trouve hors d’eau. Encore une dizaine de mètres et nous sommes à la maison, dégouttant des cheveux, dégoûtants des pieds, mais sains et saufs.

Enfin sains, nous ne le serons qu’après une douche chaude et une désinfection totale des pieds et des jambes. Pieds que notre chienne renifle avec circonspection en se disant que ce n’est vraiment pas un temps à mettre un chien dehors !

Ni un humain d’ailleurs !

Gérard BONNAFONT/CVN

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