À en avoir le tournis

Si les gens du Nord ont dans le cœur le soleil qu'ils n'ont pas dehors, les gens du Sud mettent tout leur cœur à vous faire partager leur soleil. Et à cet égard, Hô Chi Minh-Ville est généreuse.

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Des touristes étrangers devant la cathédrale Notre-Dame de Hô Chi Minh-Ville
Photo : Thanh Vu/VNA/CVN

Tout petit, j'attendais les fêtes de Noël avec impatience. Pas seulement parce que j'escomptais bien que le bonhomme à manteau rouge remplisse mes souliers à ras bord. Mais aussi parce que c'était la période où mon grand-père venait nous rendre visite en France, pendant un mois ou deux. J'aimais bien mon grand-père, mais j'aimais encore mieux ces malles mystérieuses qui l'accompagnaient. Recouvertes d'étiquettes, elles me paraissaient venir d'un de ces pays imaginaires que je parcourais dans mes livres d'enfants. "Saigon" ! Ce mot en lettres majuscules justifiait sans doute la provenance des bagages, mais était pour moi le point de départ de mille rêves insensés.

Prise de contact

Plus tard, le fil de l'histoire m'a fait découvrir Saigon, devenue Hô Chi Minh-Ville. Et mon premier contact a été comme une plongée en apnée dans un monde vertigineux. C'était il y a dix ans. Cela faisait 15 ans que je venais régulièrement au Vietnam, mais, atavisme faisant, je sillonnais le Nord, contrée de mes ancêtres, et j'ignorais ce Sud lointain, dont la platitude apparente m'attirait peu. Il avait fallu un ami et une furieuse envie d'explorer de nouveaux horizons pour que je décide d'emmener ma moto se dégourdir les roues sur plus de 2.500 km, avec pour objectif Hô Chi Minh-Ville.

Après 12 jours de voyage, fourbus et sous une pluie battante, la ville du Sud nous a accueillis à sa façon : circulation infernale, motos qui se frôlent, camions et bus qui dressent de véritables murs d'acier et nous encadrent dangereusement. Cinquante kilomètres avant la ville, c'est déjà la ville ! Zones industrielles, immeubles, centres commerciaux, usines, entrepôts… Nous sommes bien loin du paysage des hauts plateaux du Centre - la sérénité de la vallée de l'Amour, là-haut, à Dà Lat (province de Lâm Dông) - ou de la sauvage solitude de la piste Hô Chi Minh, là-bas. Ici, c'est un monde de tôle, de gaz d'échappement et de klaxons tonitruants qui nous ouvre les bras. Ce bouillonnement ne s'est jamais démenti par la suite.

Le cœur d’une ville... au grand cœur.
Photo : CTV/CVN

À chaque visite que j'ai fait dans cette ville, il m'a fallu quelques heures pour m'adapter à cette activité permanente qui donne le tournis. Même durant les fêtes du Têt que j'ai passé là-bas. Je pensais naïvement qu’à l'instar des autres villes, la plupart des habitants retournaient au quê (village natal) pour se retrouver en famille, et que les rues seraient désertes, magasins aux devantures closes. De fait, la quête désespérée pour trouver de la nourriture me donnait raison… quelques temps seulement. Mais, lorsque mes pas m'ont conduit vers la rue Nguyên Huê, reconvertie pour l'occasion en pays fantastique de fleurs, digne d'un corso carnavalesque, j'ai retrouvé une foule grouillante, bigarrée, bruyante, à l'image du spectacle habituel de la ville. Hô Chi Minh-Ville ne dort jamais, et ne se repose jamais !

Propos fruités

Haut lieu de cette animation, le marché Bên Thành ! Si Cho Lon est le marché emblématique de l'ancien Saigon, Bên Thành est le marché-vitrine de la nouvelle Hô Chi Minh-Ville. En plein cœur de la ville, il règne sans partage sur un quartier où touristes, expatriés et Vietnamiens se croisent dans une agitation perpétuelle, où chaque minute ne laisse pas une seconde de répit à la précédente.

À chaque fois que je pénètre dans cet antre de la consommation populaire, je me remémore avec amusement mon premier contact avec les marchandes du cru. À l'issue de notre marche vers le Sud, et avant de retourner chez nous, à Hanoï, mon ami avait décidé de rapporter un plein carton de mangoustans et ramboutans, fruits typiquement locaux. Pendant qu'il négociait les prix, je déambulais entre les éventaires, m'arrêtant pour contempler la profusion de fruits de tous genres. Une marchande me hèle et me propose de me vendre tour à tour, pommes, ramboutans, mangues…

Dans le marché de Bên Thành à Hô Chi Minh-Ville.
Photo : Thanh Vu/VNA/CVN

Moi, de mon côté, je lui explique que je n'ai pas l'intention d'acheter puisque mon ami s'en charge ailleurs. Dès lors, cette dame, apparemment normale, se transforme en une mégère qui me dit, dans une langue verte (que je manie aussi, à l'apprendre sur le tas), d'aller me faire voir ailleurs, de ne pas rester devant son étalage, ajoutant même qu'un étranger n'a rien à faire ici, le tout agrémenté de quelques remarques bien senties sur ma santé et mes ancêtres.

L'algarade attire l'attention des autres marchandes, aussitôt prises à témoins par la mégère pas du tout apprivoisée. Moi, profitant de ce qu'elle me tourne le dos pour s'adresser à son public, je fais des mimiques et des gestes montrant que je comprends ce qu'elle dit, que je m'en fiche totalement, et que si je n'achète pas de mangues, c'est parce que je suis fourni en la matière, laissant planer le doute en l'occurrence ! Humour vietnamien typiquement populaire qui met les rieuses de mon côté, et qui, très vite quand elles s'aperçoivent que je parle vietnamien, interviennent pour prendre ma défense.

Ne voulant pas troubler l'ordre public, j'assure que tout cela n'est rien, qu'il est inutile de s'envoyer des papayes à la figure, et je m'éclipse sous les applaudissements pour rejoindre mon ami, ignorant tout de cet incident. Je n'ai jamais revu la marchande, ni les spectatrices, mais je prends toujours autant de plaisir à musarder parmi les pyramides de fruits tropicaux qui colorent le marché. Depuis ces premiers contacts, j'ai souvent fréquenté cette ville, visitant les sites célèbres, parcourant avenues et ruelles. J'ai vu s'élever des tours qui grattent le ciel, j'ai vu la ville grignoter la campagne pour assouvir son appétit de mégapole. J'ai joué au "jeu du coq" sur la promenade Lê Lai. J'y ai vécu des nuits aussi bruyantes que des jours.

De tout cela, il y a une chose dont je suis certain : Hô Chi Minh-Ville, ça décoiffe toujours autant.


Gérard Bonnafont/CVN

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