À Avignon, Caroline Guiela Nguyên réveille les fantômes de Saïgon

Dans Saïgon, présenté samedi 8 juillet au Festival d'Avignon, Caroline Guiela Nguyên tisse étroitement les fils de la grande histoire, à travers 40 ans d'évolution du Vietnam, et les parcours intimes de ces Viêt kiêu exilés en France comme sa famille.

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Caroline Guiela Nguyên, le 12 juin 2017 à Paris.
Photo : AFP/VNA/CVN

"Deux dates bordent la pièce, 1956 et 1996", explique-t-elle. "1956 correspond, deux ans après la défaite de Diên Biên Phu, au départ des derniers Français du Vietnam, les colons, les soldats, mais aussi les Vietnamiens qui étaient naturalisés français. C'est ce qu'on appelle les Viêt kiêu, littéralement les Vietnamiens étrangers".

La seconde date, 1996, marque la fin de l'embargo, la possibilité pour les expatriés de rentrer au pays. Caroline Guiela Nguyên se rend pour la première fois à Hô-Chi-Minh-Ville avec sa mère à 16 ans.

La pièce chorale, jouée par une dizaine d'acteurs français et vietnamiens, n'est pas pour autant strictement autobiographique : "Ma famille a été une porte d'entrée, un exemple parmi tant d'autres", dit-elle.

Tout se passe dans un restaurant vietnamien, à Saïgon, Hô-Chi-Minh-Ville ou Paris, dans ce 12e arrondissement où se sont installés les premiers rapatriés de 1956, bien avant l'exil des Vietnamiens de 1975 après la chute du Sud et le départ des Américains.

Un restaurant comme il y en a des centaines en France, avec ses fleurs colorées, son décor kitsch et son karaoké. La pièce raconte la grande histoire à travers des récits intimes : l'histoire d'un fils avec sa mère, celle de deux amoureux qui sont obligés de se séparer, d'un soldat français qui s'éprend d'une Vietnamienne et qui la ramène en France...

Un bal au Majestic

Pour écrire la pièce, Caroline Guiela Nguyên a multiplié les allers-retours au Vietnam pendant deux ans, recueillant des témoignages des deux côtés, en France et là-bas. "On a récolté des récits mais aussi des sons, des images, des ambiances et de tout cela est née notre fiction".

Elle déniche par exemple sur e-bay des photos anciennes d'un bal à Saïgon en 1955 dans un grand hôtel, "peut-être le Majestic ou le Continental, en tout cas un de ces lieux fréquentés par la colonie, et cette photo, où on voit des femmes métisses et beaucoup de Blancs, produit de la fiction". Munis de cette photo, les membres de l'équipe ont recueilli les souvenirs de Vietnamiens.

La colonisation est omniprésente dans l'histoire personnelle de Caroline : sa mère métisse est à moitié vietnamienne, à moitié indienne de Pondichéry, son père était un pied-noir d'Algérie.

"Évidemment la question de la colonisation est toujours posée, mais s'arrêter à la question coloniale, c'est pauvre, ce qui m'intéresse c'est de mettre en jeu des gens qui sont traversés par la colonisation, de voir ce que ça a laissé dans leur corps, dans leur cœur".

Caroline Guiela Nguyên a fait des études de sociologie avant de passer au théâtre et de fonder en 2009 la compagnie Les Hommes Approximatifs.

Après avoir monté quelques grands classiques, ses membres s'attaquent "à leurs propres récits, aux corps manquants, aux histoires absentes des plateaux de théâtre".

Elle travaille depuis 2015 avec Joël Pommerat, dont elle admire le travail, sur des projets à la Maison centrale d'Arles avec des détenus.

Saïgon a représenté deux ans de travail, et elle espère que la pièce sera montée au Vietnam, à travers le réseau des Centres culturels français.


AFP/VNA/CVN

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