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Couverture du livre "Voyage dans les cultures du Vietnam" du Professeur Lê Thành Khôi. |
Photo : CTV/CVN |
Voyage dans les cultures du Vietnam du Professeur Lê Thành Khôi séduit dès l’abord par ses photos, le texte français occupe autant de place que les photographies de l’auteur. Les images d’une haute fidélité de reproduction - par leurs sujets, leurs prises de vue qui font ressortir les couleurs, les lignes et les masses - révèlent l’âme secrète des êtres et des choses les plus ordinaires : un coin de rizière, un banian, une fleur d’orchidée, un marché de campagne, un sourire de vieillard, un oiseau… Plus d’un Vietnamien dont moi-même y découvre la poésie insoupçonnée des petits riens de sa vie quotidienne. Cette transfiguration n’est-elle pas un miracle de l’art ?
Lê Thành Khôi a eu la gentillesse de me l’envoyer de Paris au Têt du Cheval en 2002 après m’avoir remis de ses propres mains à Hanoï, au Têt du Serpent en 2001, son précédent livre d’art Un désir de beauté. Les deux ouvrages se complètent et font mieux connaître la personnalité d’un érudit artiste qui allie la sagesse et la poésie de l’Orient à l’esprit d’analyse de l’Occident.
Théorie de l’esthétique
Un désir de beauté est un livre théorique sur l’esthétique. L’auteur se propose de cerner l’essence de la beauté, d’en déterminer les critères universels qui sont au nombre de quatre : trois rationnels (pureté des lignes, harmonie des couleurs, mouvement et rythme) et un irrationnel (sentiment de l’invisible). Dans cette perspective, le subjectif rencontre l’objectif, la dialectique de l’universel et du particulier. Lê Thành Khôi réfute l’idée kantienne selon laquelle il n’y a pas de beau naturel et d’art dans les civilisations inférieures.
Voyage dans les cultures du Vietnam peut être considéré comme une illustration des thèses de l’auteur. L’ouvrage comprend cinq volets bien articulés. La première partie, La Terre et l’Eau, est la genèse de la culture vietnamienne, basée sur la géographie et l’histoire, la mythologie, l’archéologie et la linguistique. La deuxième, Peuples et Régions, présente les cultures et différentes ethnies dans le cadre des trois régions naturelles du pays, le Nord, le Centre et le Sud. La troisième, La Personne, la Famille, la Société, analyse les caractéristiques d’une société fortement communautaire dont le rassemblement des familles donne les villages qui, regroupés, engendrent la nation. La quatrième partie traite des Littératures, orales et écrites. Enfin, la cinquième fait connaître les manifestations (la maison et le jardin, le bien-être, la cuisine, le divertissement, l’itinérance) d’un art de vivre pauvre.
L’ancienne vice-présidente de la République, Nguyên Thi Binh, remet le prix Phan Châu Trinh 2012 au Professeur Lê Thành Khôi. |
Photo : Lê Hà/CVN |
Lê Thành Khôi s’attache à montrer l’unicité de la culture vietnamienne. "La terre et l’eau" (Dât nuoc), c’est par ce terme que les Viêts appellent leur pays, conquis sur les éléments grâce à la riziculture et à l’organisation villageoise. Et tous les gouvernements successifs se sont donné, sous peine de perdre leur légitimité, la double tâche d’encourager l’économie agricole et de défendre le sol contre les invasions étrangères.
Substrat millénaire
Au cours de son histoire qui a été une longue marche du delta du fleuve Rouge à celui du Mékong, les Viêts ont absorbé de multiples influences, tant de leurs voisins des hautes régions, d’ailleurs très proches par la langue, les coutumes et les mœurs, que des Indiens et des Chinois, des Chams et des Khmers et, plus récemment, de l’Occident. Toutes ont été filtrées et adaptées selon un substrat millénaire qui, fondé sur la culture du riz associant l’homme et la femme, se distinguait par la place éminente de celle-ci, le culte de la fécondité, des ancêtres, des esprits, le rôle de la commune villageoise. La religion la plus ancienne et la plus originale, que le bouddhisme a intégrée sans la faire disparaître, était et reste celle des Mères (Mâu) personnifiant les forces de la nature : le Ciel était féminin (âm) et non masculin (duong) comme en Chine.
Art de vivre pauvre
Voyage dans les cultures du Vietnam ne se présente pas sous forme d’un traité académique. Au long du périple, le guide éclairé et sensible qu’est Lê Thành Khôi partage avec le lecteur ses connaissances, ses pensées et ses enthousiasmes. Il mêle à ses doctes commentaires des récits, des légendes, des chansons populaires et des poèmes auxquels les photos font écho. À travers ces pages palpitent le cœur d’un enfant du Vietnam qui vit en Occident mais reste hanté par sa Terre et ses Eaux :
"Vietnam, terre de souvenirs et de méditation, les ombres de ton passé ressuscitent à chaque pas et parlent à l’âme d’une voix obsédante et dure. Dure comme le sol lui-même, austère et sans fleurs : mais que de liens obscurs et forts y tiennent notre chair rivée…".
Dans le confort de Paris, Khôi rêve non sans nostalgie à l’art de vivre pauvre dans la lointaine Asie orientale. Les lettrés traditionnels, malgré la modernisation et la mondialisation, "ont appris l’équilibre et la liberté intérieure qui résultent du détachement de toutes choses pour apprécier ce qui compte, l’instant".
(Décembre 2002)