Une nouvelle crise, la hantise des Argentins

Les Argentins ont les nerfs à vif après une semaine de dépréciation vertigineuse du peso. Ils ont vécu et souffert la crise économique de 2001, qui a plongé dans la pauvreté des millions de personnes, et redoutent une issue semblable.

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Depuis janvier, le peso s'est effondré, perdant 50% face au dollar.
Photo: AFP/VNA/CVN

Le gouvernement et les économistes excluent une grave crise économique. "Je crains bien que nous allons droit vers une nouvelle crise. C'est la répétition de ce qui s'est passé au début des années 2000: dévaluation, inflation, licenciements, la soi-disant aide du FMI, l'endettement massif, on a déjà vu ça et cela a été douloureux", témoigne Luciana Dominguez, 29 ans, fonctionnaire dans un ministère.

Le pays suit au quotidien, et avec inquiétude, la cotation de sa monnaie. Reflet de l'angoisse générale, une enseignante d'une école publique de Buenos Aires a interrompu jeudi 30 août un contrôle écrit pour annoncer à ses élèves de 13/14 ans: "le dollar a dépassé la barre des 40 pesos", avec un air alarmé.

Dépréciation de 17%

Lundi 3 septembre, un dollar s'échangeait contre 31 pesos, et vendredi 31 août il fallait 38 pesos pour un dollar, soit une dépréciation de 17%, après une pointe à 41 pesos jeudi 30 août. Depuis janvier, le peso s'est effondré, perdant 50% face au dollar, monnaie refuge par temps d'incertitude.

Dans le restaurant qu'elle administre dans le centre de Buenos Aires, Marisabel Escudero, 31 ans, assure que "toutes les discussions tournent autour du peso". Elle s'apprête à augmenter les prix de sa carte. Dans beaucoup de restaurants, le prix des plats sur la carte est écrit sur un auto-collant, car les prix évoluent très souvent.

Lors de la crise de 2001 et le défaut de paiement en raison d'un niveau d'endettement insoutenable, les retraits d'argents liquide étaient limités à l'équivalent de 250 dollars par semaine.

"Peut-être qu'aujourd'hui on n'en est pas là, mais cette crise de confiance dans le peso génère de l'incertitude", observe le patron d'un magasin de vêtement Diego Kopushián. Pour limiter la masse salariale, il a débauché ses employés et travaille avec sa soeur.

De nombreux magasins, restaurants et entreprises ont fermé ces derniers mois, avec leur cortège de licenciements. La consommation a tellement chuté que le géant américain de la grande distribution Wal Mart a vendu une douzaine d'hypermarchés.

"Tous les Argentins sont affectés. La dévaluation du peso se reporte sur les prix, car l'économie est dollarisée. Dans quelques jours tous les prix vont augmenter, l'essence le pain, la viande, le gaz. Cette crise m'inquiète", se lamente Lucas Perez Torres, un comptable retraité de 67 ans.

Le teint halé en plein hiver austral, le retraité vient de passer l'été à Nuremberg, en Allemagne, où vit son fils. "Avec la réforme des retraites, avec l'ancien système j'aurais reçu 14% de plus par mois, mon pouvoir d'achat diminue de manière continue. Heureusement que je suis propriétaire".

Sans-abris à Buenos Aires, le 31 août.
Photo: AFP/VNA/CVN

"Avant, je voyageais souvent, poursuit-il. Mais un voyage comme ça, je ne pourrai jamais plus me le payer".

Jeudi 30 et vendredi 31 août, les agences de voyage ont suspendu les ventes de billets d'avion et de séjour à l'étranger, en raison de la volatilité du taux de change, attendant que le peso se stabilise.

Les Argentins touchent leur salaire en pesos, mais dès qu'ils peuvent épargner ils achètent des dollars, pour se protéger de l'inflation endémique du peso, qui fond comme neige au soleil.

Noelia Sanabria, une Paraguayenne de 50 ans, avait l'habitude d'envoyer chaque mois à sa famille 300 à 400 dollars sur les 15.000 pesos qu'elle gagne chaque mois comme femme de ménage dans un quartier chic de Buenos Aires. "Avec un dollar à 40 pesos, dit-elle, je ne sais plus pourquoi je travaille. Aujourd'hui, je n'ai pu envoyer que 200 dollars".

Pendant la crise de 2001, "nous avons perdu tous nos client en une semaine", se souvient Esteban Martucci, directeur de l'agence de publicité Oil Studio, qui avait alors quitté l'Argentine. Il emploie douze personnes mais pense surmonter la crise car il dispose de clients dans d'autres pays d'Amérique latine qui paient en devise.

"On en vient à penser que les crises sont naturelles. On ne les désire pas, mais on les sent venir. Les changements dont le pays a besoin n'ont pas été faits", dit-il, en référence au déficit budgétaire chronique, qui génère de l'inflation.

Cette semaine, des "cacerolazos", les concerts de casseroles fréquents pendant la crise de 2001, ont retenti dans plusieurs villes d'Argentine pour dénoncer la hausse des prix et la perte de pouvoir d'achat. Une grève générale est programmée pour le 25 septembre. Le gouvernement se veut rassurant, mais l'inquiétude grandit.


AFP/VNA/CVN

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