Une Africasienne à Diên Biên Phu

C’est l’histoire de Mme Lo Thi Duong, 72 ans, une femme métisse: mère vietnamienne et père africain. Depuis sa naissance, elle vit avec une douleur et des questions lancinantes: "Qui est mon père? Où est-il maintenant? Est-il toujours en vie?"

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Lo Thi Duong, 72 ans, vit à Diên Biên Phu.

Le 20 novembre 1953, l’armée française a été parachutée à Diên Biên Phu pour se préparer à la bataille contre le Viêt Minh (armée vietnamienne). Les soldats sont allés dans tous les villages, ont volé des biens, tué des hommes et, parfois, violé des femmes. Dans un petit village, la mère de Mme Duong fut l’une de leurs victimes.

Lo Thi Duong est née en 1954. Sa mère lui a dit qu’elle ne se souvenait plus de la date exacte de sa naissance parce qu’à cette époque-là, les gens de Diên Biên Phu se souciaient avant tout de survivre. Sa mère l’a élevée seule. Après la fin de la bataille de Diên Biên Phu, sa mère ne savait pas si son père était mort ou s’il avait été fait prisonnier.

Mme Duong a connu une enfance difficile. "Quand j’étais enfant, j’étais souvent taquinée par mes amis, ils m’appelaient +la noire+. C’est la raison pour laquelle je demandais souvent à ma mère: +Maman, pourquoi mon teint n’est pas clair comme celui de mes amis? Maman, tous mes amis ont un père, mais où est le mien?+”.

"J’ai toujours fait attention à son attitude quand elle écoutait mes questions: elle était souvent embarrassée, elle voulait éviter d’y répondre. Je ne comprenais pas pourquoi", a confié Mme Duong.

Mme Duong et son bienfaiteur australien dans un restaurant.

Sa mère lui a dit qu’un jour, elle lui dirait toute la vérité. Trente ans plus tard, elle a finalement compris pourquoi sa mère éludait ses questions et paraissait si embarrassée. "Quand ma mère fut sur le point de mourir (à ce moment-là j’avais 40 ans) elle m’a appelée et m’a dit qu’était venu le moment de dire la vérité".

Voici l’histoire: pendant la guerre de Diên Biên Phu entre les armées française et vietnamienne, son père était un mercenaire d’origine africaine. Il a commis ce viol, mais ensuite est revenu s’excuser avec des cadeaux auprès de sa victime. Et des sentiments sont nés entre sa mère et son violeur. "Il était grand, beau aux cheveux bouclés et au teint foncé. Il avait le même sourire que moi", m’a expliqué ma mère.

Ce jour-là, Mme Duong a beaucoup pleuré d’apprendre qu’elle était le fruit d’un viol, mais au fond de son cœur est né le désir de retrouver ce père. Cependant, ne sachant ni lire ni écrire, et ne pouvant communiquer en anglais, la tâche s’avérait très ardue. Durant toute sa vie, elle n’avait connu que dans son village. Sa langue maternelle est le Thai (langue vernaculaire) et elle parle très rarement vietnamien (langue véhiculaire). Sa vie est très difficile: elle cultive du maïs sur les pentes des montagnes – un travail dur et mal rémunéré. Son seul rêve, c’est de retrouver son père. Mais chaque fois qu’elle y pense, elle se sent impuissante.

Mme Duong a beaucoup pleuré quand elle a rencontré ce couple dans un supermarché.

Un jour, elle a rencontré un Australien qui visitait le village. Après avoir appris son histoire, il a décidé de l’emmener à Hanoï et de payer tout le voyage, pour se rendre à l’ambassade de France et aux ambassades de pays africains afin de leur demander de l’aide. Mais en raison d’informations insuffisantes, aucune de ces ambassades n’a pu l’aider dans la quête de son père.

À Hanoï, autour du lac Hoàn Kiêm, Mme Duong a vu beaucoup d’étrangers lui ressemblant étrangement... Chaque fois qu’elle rencontrait un Africain ou quelqu’un d’origine africaine, elle l’embrassait et des larmes coulaient sur ses joues. Au début, les gens étaient surpris, ils avaient même parfois un peu peur. Mais après avoir appris l’histoire de Mme Duong, ils étaient très touchés et ressentaient une réelle empathie pour elle. Ils la consolaient et lui adressaient leurs meilleurs vœux, en souhaitant qu’elle puisse rapidement retrouver son père biologique.

Mme Duong a confié: "Je suis tellement reconnaissante envers ce monsieur australien qui a pris soin de moi, m’a encouragée. Cela m’a beaucoup touchée et m’a fait ressentir l’amour d’un père pour sa fille. Entre nous, une relation quasi filiale est née, et je le considère un peu comme mon père biologique".

Un rendez-vous avec des amis de l’Australien.

Naître, vieillir, être malade, mourir, ce sont les lois de la vie, n’importe qui devra expérimenter la douleur de la perte de proches, de ceux que nous aimons le plus. Cette douleur va arriver tôt ou tard, mais pour Mme Duong, elle est arrivée trop tôt. Jusqu’à maintenant, elle ne connaît toujours pas le visage ni même l’identité de son père biologique.

Dans cette vie, bien des gens vivent heureux avec leurs parents. D’autres, moins chanceux, n’ont qu’un seul parent ou sont orphelins. À ceux qui ont encore leurs parents, je voudrais dire ceci: profitez des instants où vous pouvez être avec eux, aimez-les, prenez soin d’eux, dites leur que vous les aimez. Parce qu’il y aura un matin quand vous vous réveillerez, ils ne seront plus là. Et alors, il sera trop tard pour regretter.


Texte et photos: Trân Minh Quang/CVN

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