Un rite ésotérique renaît

Lors de la fête Tro Tram, aux 11e et 12e jours du 1er mois lunaire, dans la province de Phu Tho (Nord), se tient un rite de la fécondité en l’honneur du phallus et du vagin. Ce rite a lieu à minuit pour refléter l’harmonie du Yin et du Yang.

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Le culte du No Nuong (Phallus et Vagin) ne manque pas d’originalité.
Photo : Anh Tuân/VNA/CVN

C’est la nuit du 11e jour du premier mois de l’année lunaire du Serpent (11 février 2001). Le hameau des Canaris (Xom Tràm) de la commune de Tu Xa, district de Lâm Thao (province de Phu Tho, Nord) est enveloppé d’un voile de crachin glacial. Pourtant, dans la cour devant le temple de Dame Du Di dédié au culte du No Nuong (Phallus et Vagin), une foule nombreuse se presse pour assister à la célébration du sacrifice. Les rites se succèdent avec une lenteur calculée : présentation des offrandes cultuelles au rythme du gong et des tam-tams, requête aux esprits, hymne sacré, attente de l’heure faste.

Une résurrection spectaculaire

Le premier chant du coq de minuit annonce enfin l’heure Ty attendue pour le rite ésotérique. Le temple en bois, nouvellement reconstruit avec l’aide du Fonds culturel Danemark-Vietnam, est bondé. Outre les villageois, des gens venant de Hanoï, des touristes, des étudiants, des chercheurs, des ethnographes… Des dizaines de caméras et d’appareils photographiques sont braqués sur l’autel. Le rite ésotérique, oublié depuis un demi-siècle et ressuscité une ou deux fois au cours de la dernière décennie, connaît une résurrection spectaculaire cette année.

Le maître de la cérémonie sacrificielle prononce une formule sacramentelle, se prosterne quatre fois, puis descend de l’autel le coffre sacré d’où il tire solennellement les objets adorés : une plaque triangulaire représentant l’organe féminin et un petit pilon de bois faisant office d’organe masculin (autrefois le vagin était représenté par un morceau de spathe d’aréquier ou une carapace de tortue). Sur l’ordre de l’officiant qui dit : «Linh tinh tinh phôc», un garçon cogne trois fois son pilon sur la plaque triangulaire tenue par une fille. Les lumières sont brusquement éteintes. D’après l’ancien rituel, toute lumière était éteinte pour que, dans l’obscurité complète, l’acte de copulation sacrée s’accomplisse à tâtons - l’officiant n’appelait la lumière qu’après avoir entendu les trois coups escomptés.

Les villageois célèbrent la fête Tro Tram dans le district de Lâm Thao, province de Phu Tho (Nord).
Photo : Anh Tuân/VNA/CVN

Nous assistons à la scène en pleine lumière, les lampes n’étant pas éteintes, peut-être à la demande des photographes.

Après les minutes d’obscurité, éclate la fanfare de gongs et de tam-tams. L’officiant court trois fois autour du temple, suivi par une cohorte criant à tue- tête et frappant sur des vans de bambou pour chasser les mauvais esprits et la guigne. Après le rite ésotérique, il était permis à tous de se livrer aux ébats sexuels dans la Forêt de Canaris. Les filles qui concevaient cette nuit étaient considérées comme privilégiées : le village organisait leur mariage, on n’exigeait pas d’elles les arrhes matrimoniales.

Une cérémonie très originale

La cérémonie ésotérique est accompagnée d’un sketch comique, les «quatre catégories sociales» (Tu dân) : le Lettré (représenté par le maître d’école), le Cultivateur (l’Empereur mythique Thuân labourant), l’Artisan (le scieur, le pêcheur) et le Commerçant (la vendeuse de printemps). La pièce tourne en ridicule la société féodale, fortement confucianisée, à son déclin, ce qui a suggéré au folkloriste Phan Dang Nhât de situer son origine au début des temps modernes.

Il est évident que l’esprit du culte ésotérique de Tràm datant des temps primitifs continue à inspirer les «quatre catégories sociales» plusieurs dizaines de siècles après. Le musicien Duong Dinh Minh Son montre que les paroles chantées reviennent sans cesse aux images de la copulation sacrée : la scie et le ciseau du charpentier, le pinceau et l’écritoire du maître d’école, le soc et le manche de la charrue... évoquent les organes sexuels de l’homme et de la femme. Nombreux sont des vers hantés par la copulation sacrée :

«Ami, puisse-je devenir le soc
Et toi le manche de la charrue pour m’enfourcher sans retard»
«L’homme s’est acquis une rizière à trois talus ;
Qu’il ne laisse pas autrui apporter un filet pour prendre ses poissons».

Les cérémonies et fêles relèvent du culte de la fécondité qui a fait son apparition aux temps primitifs dans de nombreuses régions du monde. On croyait que les organes sexuels humains étaient doués d’un pouvoir magique qui, communiqué aux plantes et aux animaux, pourraient provoquer une bonne récolte et une abondante procréation.


Huu Ngoc/CVN

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