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Le cimetière du village de Liêu Nôi de la commune de Khanh Hà, dans le district de Thuong Tin, Hanoi, se situe au beau milieu de rizières verdoyantes. À la différence de certains sites du même genre en campagne, ce dernier abrite des tombes aux décorations remarquables. Inspirés par l’architecture des maisons traditionnelles, la plupart des édifices sont réalisés en pierres grises et rehaussés d’un toit en tuiles rouges. Liêu Nôi est en effet un village d’artisanat réputé, expliquant le soin extrême apporté par ses habitants aux sépultures de leurs proches. En outre de son style unique, le cimetière est aussi connu dans la région pour une toute autre raison, plus émouvante. Un véritable «jardin d’Éden», comme le surnomment les villageois, entoure le tombeau d’une femme.
Des plantes préférées du défunt…
Nguyên Tài Thiêp, un invalide de guerre qui a aujourd’hui 78 ans, vient s’occuper du jardin au moins deux fois par jour. L’homme est très connu dans tout le village pour l’amour inconditionnel qu’il porte à sa femme, décédée en 2008 des suites d’une longue maladie. «C’est mon habitude depuis huit ans. Quand je suis à la maison, elle me manque beaucoup. Ici, dans ce cimetière, je sens qu’elle est encore vivante et elle est toujours à mes côtés», confie-t-il sur sa fréquentation dans ce lieu que tout le monde trouve triste et solitaire.
M. Thiêp et ses carrés de haricots en plein cœur du cimetière. |
Photo : Vietnamnet/CVN |
Considérant le cimetière comme sa deuxième demeure, M. Thiêp consacre son temps pour aménager un jardin riche et fleuri entourant le tombeau. Large de 60 m2, l’espace soigneusement entretenu mêle une haie vive constituée de diverses plantes, fruits et légumes, qui changent au rythme des saisons. En cette période estivale, on y croise des carrés de liserons, des herbes odoriférantes et médicinales, des haricots, des courges fleuries ou encore un champaca fleuri. Sans oublier des bananiers.
À quelques pas de la tombe, M. Thiêp vient d’apposer son dernier cadeau pour son épouse: des pieds de rosiers ainsi qu’un abricotier haut d’environ 80 cm, portant une petite inscription sur un panneau «Des fleurs et un abricotier pour toi en ce 8 mars 2016». Un petit geste à l’occasion de la Journée internationale de la femme, explique-t-il. Choyer ce jardin du souvenir n’est pas si anodin. «De son vivant, ma femme s’occupait bien de la maison et de nos enfants. Elle préférait particulièrement faire du jardinage, raconte M. Thiêp. C’est pour cette raison que je veux lui apporter une vie et un ambiance similaire après son décès».
… aux vers d’amour de son mari
L’allée principale, conçue en briques rouges et posées à la main, donne directement vers la tombe, construite dans le style local. Cette dernière se divise en deux. Dans la pure tradition vietnamienne, l’une est pour l’épouse défunte, et l’autre, encore vide, sera destiné à l’époux. À côté de la stèle, le jardinier éperdument amoureux a installé deux petites pièces de bois : l’une imprime sa promesse de retrouvailles, écrite à sa femme le jour des funérailles et l’autre, un poème d’amour composé début 2016.
Les yeux vifs et le visage rayonnant, M. Thiêp clame les vers qu’il a appris par cœur :
«Vợ tôi đã mất lâu rồi.
Mà tôi thương nhớ đứng ngồi không yên.
Tôi ra thăm mộ tổ tiên,
Thăm em ngắm cảnh cho yên tấm lòng.
Trồng hoa, cam quýt bưởi bòng.
Em ơi em để lạnh phòng mình anh.
Đêm đêm gió mát trăng thanh.
Thương em anh nhớ nhưng đành vậy thôi».
(Traduction : Ma femme m’a quitté depuis longtemps.
Désormais, je ne me sens jamais tranquille, elle me manque beaucoup.
Je rends hommage souvent au tombeau des ancêtres,
Et le sien, le paysage aussi ici, pour adoucir ma douleur.
J’y cultive des fleurs et des agrumes pour toi.
Ma chérie ! tu m’as laissé seul dans notre chambre solitaire.
Chaque nuit, au clair de la lune et quand le vent souffle.
Tu me manques beaucoup mais tout est vain).
Nguyên Tài Thiêp vielle à ce que tout reste en ordre. |
M. Thiêp apporte également chaque jour des offrandes, telles des fleurs, fruits, friandises, pain, riz ou du lait. évidemment, il apporte une part pour elle, et pour lui. Il n’a pas oublié également deux objets d’usage courant, qui vont toujours de pair : la cuvette d’eau et la serviette. Il prend un peu de temps pour partager quelques souvenirs. Il confie que du fait de la guerre, il a vécu éloigné de sa femme et de ses enfants. Après les retrouvailles et vingt ans passés ensemble, sa femme les a quittés. Maintenant, ses enfants ont leur propre famille, et il veut consacrer le reste de sa vie à s’occuper d’elle.
«La visite du matin et de l’après-midi est indispensable pour moi. Quand je me sens fatigué, il suffit de m’appuyer sur sa tombe en rapportant à ma femme des choses quotidiennes ou rappelant le temps de notre jeunesse. La fatigue et le chagrin finissent par disparaître», confie-t-il.
Linh Thao/CVN