>>Excursions printanières dans la région Kinh Bac
L’histoire d’amour impossible de Truong Chi a inspiré nombre d’adaptations lyriques. |
Photo: CTV/CVN |
Dans l’ancienne région du Kinh Bac (partie Nord de la capitale Thang Long - ancien nom de Hanoï), un foyer illustre de la culture vietnamienne, il existait une rivière appelée Tiêu Tuong, aujourd’hui comblée. Celle-ci traversait le village de Tuong Giang, à l’heure actuelle dans le district de Tiên Son de la province de Bac Ninh, au Nord. Les vieilles gens vous diront qu’elle est le site d’une tragique histoire d’amour du temps jadis.
Récit
Le pêcheur Truong Chi, dans sa barque, chante d’une voix d’or qui envoûte My Nuong, la très belle fille du Premier ministre. Elle se languit d’amour et tombe malade. Son père doit faire venir Truong Chi. En la voyant, ce dernier a le coup de foudre tandis que My Nuong, horrifiée de le voir si laid, le fait renvoyer sans tarder. Le mal-aimé, désespéré, se jette dans le fleuve pour se donner la mort. Son âme s’incorpore à un santal. On fabrique avec le bois de cet arbre une tasse magnifique qui par hasard tombe entre les mains de My Nuong. Quand elle verse du thé, l’image du pêcheur apparaît au fond du récipient. Émue, elle pleure amèrement. Une de ses larmes tombe dans la tasse et la fait fondre.
On peut rapprocher cette histoire d’une autre du recueil chinois Tình su (Histoires d’amour). Une jeune fille mourut de désespoir parce que son amant absent n’était pas rentré au jour promis. De son corps incinéré, il ne restait, parmi les cendres, qu’une boule qui a pu résister aux coups de marteau, les plus violents. Lorsque l’amant enfin rentra, il versa ses larmes sur la boule qui fondit en sang.
Un pavillon sur la rivière Tiêu Tuong dans la province de Bac Ninh (Nord). |
Photo: CTV/CVN |
Une autre histoire du Tình su donne une version proche de l’histoire vietnamienne: une jeune fille, ayant écouté le chant d’un batelier passant sur le fleuve, mourut de langueur. De son corps, il ne restait qu’un cristal que firent fondre les larmes de l’homme lorsqu’il apprit l’histoire.
Une légende Cham donne aussi une autre variante.
Deux thèmes
Mais revenons à Truong Chi. Son histoire traite de deux thèmes: l’écart entre le rêve et la réalité (chez la fille du Premier ministre), et le talent toujours victime du destin (le pêcheur à la voix d’or).
Le second thème se rencontre souvent dans la littérature sino-vietnamienne: les hommes de talent comme les belles femmes (hông nhan = les joues roses) ont toujours un destin malheureux.
Le roman en vers Truyên Kiêu (Histoire de Kiêu) de Nguyên Du (XVIIIe siècle), chef-d’œuvre de la littérature vietnamienne, commence avec les vers:
"Dans les cent années, limite de la vie humaine,
Talent et destinée s’acharnent à se haïr".
L’histoire de Truong Chi est très populaire au Vietnam. Elle a inspiré à Van Cao, auteur de notre hymne national, une romance très aimée de la jeunesse.
Le Chant de Truong Chi, œuvre anonyme sans prétention littéraire, a été transmis oralement de génération en génération. Voici la fin du récit:
…"Quant à Truong Chi, il retourne à sa barque,
Après l’avoir amarrée à une perche, il se jette dans le fleuve.
Son corps dérive le long du cours d’eau.
Son âme s’incorpore dans un santal blanc…
Tandis que le Premier ministre fait une tournée,
Il fait l’acquisition du bois de cet arbre.
Le bois est mis longtemps de côté
Jusqu’au jour où un menuisier est appelé pour y tailler une tasse à thé.
… Chaque fois qu’on y verse de l’eau,
Voilà que le batelier y chante en cadence.
La jeune My Nuong a les entrailles déchirées.
Ses larmes tombent, dissolvant le cristal d’amour.
Cette histoire de pureté peut servir d’exemple
À toutes les jeunes filles aux joues roses".
(Décembre 2001)