Trân Anh Hùng, un réalisateur en quête d’éternité

Le célèbre réalisateur français d’origine vietnamienne marque son retour après des années de travail dans le silence, avec Éternité, qui sort dans les salles ce mois-ci. Il a répondu aux questions de la presse.

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Le réalisateur français d’origine vietnamienne Trân Anh Hùng.
Photo : Quang Duc/CVN

Trân Anh Hùng, le célèbre réalisateur de L’Odeur de la papaye verte (Mùi đu đủ xanh), Cyclo (Xích lô), et de À la verticale de l’été (Mùa hè chiều thẳng đứng), revient au Vietnam avec son tout dernier film, Éternité (Vĩnh cửu), adapté du roman L’élégance des veuves d’Alice Ferney. Il a été récemment présenté au public de la capitale vietnamienne à l’occasion de la visite du président français François Hollande au Vietnam.

Un réalisateur entre Orient et Occident

Né à Dà Nang (Centre du Vietnam), Trân Anh Hùng a déménagé en France lorsqu’il avait quatre ans. Il a étudié à la prestigieuse École nationale supérieure Louis-Lumière (ENS Louis-Lumière) tout près de Paris. Il est considéré comme à l’avant-garde d’une vague de cinéma vietnamien acclamé à l’étranger ces deux dernières décennies.

Il a commencé à produire des œuvres inspirées de la culture vietnamienne. Son premier film, L’Odeur de la papaye verte (1993), a connu un énorme succès. Il a reçu le César de la meilleure première œuvre en 1994, la Caméra d’or à Cannes en 1993, et une nomination à l’Oscar du meilleur film étranger. En 1995, il réalise le plus ambitieux Cyclo avec Tony Leung Chiu-Wai, avec une nouvelle pluie de louanges. Le film remporte le Lion d’or à Venise, et Trân Anh Hùng est alors l’un des plus jeunes cinéastes à obtenir cette distinction. Cinq ans plus tard, il conclut sa «trilogie vietnamienne» avec À la verticale de l’été. Le film est présenté à Cannes dans la sélection «Un certain regard». Après presque dix ans d’absence, il a réalisé Je viens avec la pluie (Tôi đến với mưa). Ce long-métrage devait sortir en 2009 au Japon, mais c’est son film maudit.

De par son histoire personnelle, Trân Anh Hùng est un cinéaste forcément partagé entre deux cultures : le Vietnam et la France. L’Orient et l’Occident, deux mondes différents, deux façons de voir le cinéma, et bien d’autres choses encore. Le cinéma de Trân Anh Hùng est un entre-deux perpétuel. Bien que la culture vietnamienne y tienne une place importante, on a quand même cette influence prégnante de la culture occidentale.

Un drame majestueux

Une scène d’"Éternité" avec Mélanie Laurent.
Photo : Espace/CVN

Éternité est le premier film de Trân Anh Hùng en français, bien qu’il ait grandi en France. S’il n’a pas été présenté cette année à Cannes et au Festival du film de Venise, le film a suscité beaucoup d’attention de la part des médias internationaux, car il marque le retour de Hùng six années après le succès du Bois norvégien (Rừng Na Uy) en 2010.

Ce film magistral raconte l’histoire d’une famille bourgeoise catholique, du point de vue des femmes et sur trois générations. On découvre leurs forces, leurs joies, leur bonheur et leurs tragédies personnelles à mesure qu’elles évoluent de filles à mères, puis veuves.

Que pourriez-vous nous dire au sujet du film Éternité ?

Il parle de l’amour des couples et de l’amour maternel de trois femmes en temps de guerre en France. Elles doivent surmonter l’adversité et braver toutes sortes de difficultés dans la vie.

Le film rassemble Audrey Tautou, Bérénice Bejo et Mélanie Laurent, trois stars du cinéma français. J’ai été chanceux quelles ont toutes adoré l’histoire et souhaité travailler dans ce film.

Ma femme, Trân Nu Yên Khê, a servi de narrateur et de directeur artistique. Tous les détails, tels que costumes, meubles et scènes ont été choisis par elle. Elle est plus à l’aise en français qu’en vietnamien. Dans ce film, elle a la chance de mettre en valeur sa voix. Il y a seulement quelques dialogues entre les personnages. Ils communiquent entre eux et la plupart du temps par des gestes et des expressions.

Qu’est-ce qui vous a inspiré pour adapter au cinéma le roman L’élégance des veuves d’Alice Ferney ?

Ce livre m’a apporté un sentiment spécial qui est difficile à expliquer. Il est très émouvant pour moi. Je pleurais de page en page. Il m’a fait penser à la vie, au bonheur, à la tristesse et ce qui reste après une perte. Je voulais transférer dans un film l’émotion que j’avais ressentie à la lecture.

Pour vous, qu’est-ce qui est éternel dans cette vie ?

À travers le film, je veux dire aux spectateurs l’éternité de la vie. Voilà la raison pour laquelle j’ai changé le nom. Un jour, je vais mourir, mais ce n’est pas important parce que quelqu’un va naître. L’éternité arrive quand un homme et une femme se rencontrent, ils tombent amoureux et ils ont des enfants. Au cours de votre vie, vous êtes témoin de la naissance et de la mort. Voilà le cercle de la vie.

Dans le film, vous verrez que les femmes subissent une grande perte lorsque leurs proches décèdent. Elles sont tristes, mais elles ne sont pas trop tristes ni tragiques. Parce qu’un autre bonheur viendra bientôt, qui balaiera ce chagrin-là.

Pensez-vous qu’il y a des différences entre l’histoire dans le film et celui du roman ?

Non, le film est fidèle au roman. Quand j’ai regardé le film une fois terminé, j’ai eu le même sentiment que lorsque j’avais lu le roman. J’étais totalement satisfait de la capacité de partager mon émotion avec le public.

Le film est assez exigeant, il est différent des films de divertissement. Ressentez-vous cependant une pression quant aux chiffres du box-office ?

Je crois que certaines personnes se sentiront frustrées parce qu’elles ne comprendront pas le film ou ne pourront supporter sa lenteur. Il est lent parce que je veux que le public ait suffisamment de temps pour sentir les émotions et pensées, et vivre de l’intérieur le caractère des personnages. Oui, il est différent d’un film de divertissement. Mais je n’ai pas de pression concernant le nombre d’entrées. Le film est une œuvre d’art, chaque spectateur aura son propre sentiment.

Pourquoi prenez–vous autant de temps avant de faire un nouveau film ?

Je préférerais faire un film tous les deux ans, ce serait mon rythme naturel. Mais recueillir suffisamment d’argent prend toujours beaucoup de temps. Cela dépend aussi du type de film que vous voulez faire : si vous voulez faire une comédie, c’est plus facile. Mais j’ai eu de très bons producteurs qui ont cru dans le projet et étaient prêts à se battre pour lui pendant deux, trois ans.

Vous définissez-vous comme un cinéaste vietnamien ou européen ?

La seule nation est le cinéma. Le cinéma est la langue. Je vous parle en vietnamien ou en français, mais il y a aussi la langue du cinéma, et vous devez apprendre cette langue parfaitement pour faire de belles scènes, comme un écrivain fait avec des mots et des phrases. Et donc, quand je travaille sur le tournage d’un film, il n’y a que cette seule langue du cinéma que j’utilise. C’est tout.

D’après vous, quelle est la chose la plus importante pour un film ?

Pour moi, la chose la plus importante est la langue du cinéma.

Pourquoi avez-vous toujours réalisé des films d’art au cours de votre carrière ? Avez-vous déjà pensé à faire un film commercial ?

Je ne peux pas faire quelque chose qui n’est pas moi. Parfois, je reçois plusieurs scripts en même temps, mais je décide de travailler sur ce qui m’inspire.

Regrettez-vous quelque chose dans votre carrière ?

J’ai consacré 12 ans au thriller Je viens avec la pluie (2009), qui présentait un casting de stars internationales dont Josh Hartnett, Byung-hun Lee, Kimura Takuya et Elias Koteas. Cependant, nous avons eu des problèmes avec le producteur et parce que je ne pouvais pas faire le film avec mon esprit, il a été ruiné. Je rêve d’avoir assez d’argent pour le refaire un jour.

Pourriez-vous révéler vos plans dans un futur proche ?

Eh bien, je pense que je vais faire un film tous les deux ans, cependant, en raison de budgets limités, j’ai seulement fait six films à ce jour. À côté de faire des films, je vais aussi faire de la poterie. Dans un avenir proche, je vais présenter ma propre marque. La poterie est une discipline très différente des films. Je peux en faire quand je veux. C’est facile et relaxant.


Hà - Thu/CVN


Éternité est adapté du roman L'élégance des veuves d’Alice Ferney, née en 1961 à Paris. La romancière a six œuvres très acclamées, dont Grâce et dénuement (1997) qui a remporté le prix Culture et bibliothèques pour tous. L'élégance des veuves a été traduit en vietnamien par Lê Ngọc Mai et publié par les éditions Nha Nam.
Éternité est projeté dans le monde entier. Au Vietnam, il est présenté par Green Media Company à l'Espace, Centre national du cinéma et Platinum Temps City (Hanoi) et BHD Star (Hô Chi Minh -Ville). Il a été projeté pour la première fois à Hanoï, dans le cadre des programmes culturels pour célébrer la visite au Vietnam du président français François Hollande.

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