Sur le tuông, opéra classique vietnamien (Suite)

Le tuông est un genre savant, autrefois pratiqué par la Cour royale, l’aristocratie et les lettrés. Depuis la réunification du pays en 1975, il a repris du crédit comme genre scénique national grâce aux efforts des cercles culturels.

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Dans beaucoup de villages, on joue du tuông à l’occasion des fêtes.
Photo : VNA/CVN

Nous avons vu que l’opéra classique vietnamien tuông est issu du théâtre chinois. Il lui emprunte ses sujets tirés de l’histoire et des contes chinois, sur une toile de fond confucéenne. Les deux vertus les plus chantées sont la loyauté envers le roi et la piété filiale, le roi incarnant le pays, l’État, et le père l’autorité suprême de la cellule familiale. Dans l’intrigue typique du tuông, le roi est vieux, ou tombe malade et meurt. Les courtisans se divisent en deux camps : celui des mandarins traîtres soutenant l’usurpateur et le camp des mandarins loyalistes qui servent le prince héritier (souvent un enfant) et le rétablissent sur le trône. Le «happy end» est de rigueur, bien que le sort des principaux personnages soit souvent peu enviable. L’essence du tuông est l’héroïsme et le tragique.

La vietnamisation du tuông

Bien que le tuông emprunte à l’opéra de Pékin ses sujets, ses thèmes, sa philosophie confucéenne, ses techniques basées sur les conventions et la stylisation, il est profondément vietnamien parce qu’il a vietnamisé les emprunts chinois. Le tuông basé sur la langue littéraire, surtout la poésie et le chant populaire, n’a pu se développer qu’à partir du XIIIe siècle grâce au développement de la littérature en idéogrammes vietnamiens (nôm) (opinion de Pham Phu Tiêt). Les lettrés ont écrit leurs pièces avec les sentiments et pensées de Vietnamiens et non de Chinois, dans le contexte de l’histoire vietnamienne (la pièce Son Hâu en est un exemple typique).

La musique, les chants, les airs de danse ont une saveur vietnamienne, sans parler de certains empreints cham. Établissons un parallèle entre le tuông et la tragédie classique française du XVIIe siècle. Dans le Cid (1936) inspiré par une pièce espagnole, Corneille a peint les gentilshommes et les dames de son temps sous le costume des nobles espagnols. Il est intéressant de remarquer une certaine similitude entre le théâtre français et le tuông : culte de la royauté, prédominance psychologique, sacrifice pour le devoir. Mais le tuông ignore la Règle des Trois Unités, héritage d’Aristote. À cet égard, il est plus proche du théâtre de Shakespeare.

Le tuông fait partie des patrimoines immatériels du Vietnam.
Photo : VNA/CVN

Par ailleurs, le tuông est proche du théâtre épique de Brecht parce que, loin du réalisme, il repose sur la conventionnalisation, la symbolisation et la stylisation, ce en vue de créer une sorte d’effet de distanciation (Verfremdung) brechtienne. Brecht veut arracher les spectateurs et les acteurs à l’illusion de la réalité créée par le théâtre pour leur permettre de garder leur esprit critique et de participer à la lutte politique. La «distanciation» dans le tuông est autre : il raconte une histoire et ne matérialise pas toujours les faits, - il traduit tout en conventions. Les décors sur la scène sont réduits au minimum. Le tuông anormalise tout, crée un monde anormal, mythique avec ses symboles (personnages extraordinaires, paroles, chant, danse) différent de la réalité. Khuong Linh Tá décapité continue à marcher avec sa tête dans ses mains ; sa torche représente son âme. L’acteur tenant un fouet est censé monter un cheval. Le souverain, le sujet loyal a un visage pâle ou vermillon, le guerrier a un visage peint en noir, blanc ou vermillon, le traître est reconnaissable par son visage pâteux, sa barbe rare et son regard oblique.

Attirer le public, un défi de taille

Le répertoire du tuông comprend des centaines de pièces. Les plus populaires sont : Son Hâu (Base derrière la montagne), Hô Phi Hô traversant la frontière, Hô Nguyêt Cô redevient renarde, et Nghêu Sò Oc Hên (Les quatre mollusques) qui est plutôt un tuông du peuple.

Sous l’administration coloniale française, le tuông continuait à jouir de la faveur populaire à la campagne. Mais en ville, face à la mentalité des nouvelles couches citadines, il devait se moderniser en tentant des réformes à l’encontre du genre, ce qui le discrédita de plus en plus.

La Révolution de 1945, qui mit un terme à quatre-vingts ans de colonialisme restaura les valeurs traditionnelles, du tuông. Des pièces historiques virent le jour, qui exaltaient le patriotisme. Mais en 1950, une conférence sur le théâtre conclut que le tuông était trop archaïque pour servir la guerre de résistance nationale.

Depuis la réunification du pays en 1975, le tuông a repris du crédit comme genre scénique national grâce aux efforts des cercles culturels. Mais le public, surtout les citadins et les jeunes, déserte de plus en plus ses représentations. C’est un véritable défi pour les spécialistes et partisans du tuông.


Huu Ngoc/CVN
(Avril 2002)

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