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Bonjour à toutes et à tous. Aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir un invité exceptionnel : Arthur Chareire, réalisateur français d’origine vietnamienne. Après de longues années de recherche, il a retrouvé sa mère biologique ici, au Vietnam. Derrière ses films, il a choisi cette fois de livrer une histoire profondément personnelle : celle de ses racines, de l’amour maternel et de la quête de soi.
Merci, Arthur, d’avoir accepté de partager avec nous cette aventure.
Qu’est-ce qui vous a poussé à entreprendre cette quête pour retrouver votre mère biologique ?
Jusqu’à mes 30 ans, je n’avais jamais ressenti le besoin de chercher ma famille biologique. Ma famille adoptive m’avait donné tout l’amour et l’éducation nécessaires. Mais au fond, il restait une blessure enfouie, une absence invisible qui a sûrement marqué ma vie sans que je m’en rende compte.
Le déclic est venu à l’été 2024, juste avant mes 30 ans. J’ai rencontré une adoptée vietnamienne de mon âge lors d’un covoiturage entre Annecy et Paris. Elle m’a raconté comment elle avait retrouvé sa famille grâce à l’association La Voix des Adoptés. C’était la première fois que je rencontrais quelqu’un qui avait franchi ce pas. Ses récits, et ceux que j’ai découverts ensuite dans le groupe Facebook de l’association, m’ont bouleversé. Je me suis dit : “Pourquoi pas moi ?”
Comme je prévoyais déjà un long voyage au Vietnam, j’ai compris que mes recherches pouvaient donner à ce séjour une dimension bien plus intime.
Un besoin si intime… Y a‑t‑il eu un souvenir ou un moment précis qui a déclenché cette recherche ?
Oui. En novembre, autour d’un repas avec ma mère et ma marraine, je leur ai parlé pour la première fois de cette idée. Elles m’ont soutenu tout de suite. Avec le recul, je mesure ma chance : pour beaucoup d’adoptés, c’est un sujet difficile à aborder.
Puis, juste après Noël, mes parents m’ont ressorti le dossier d’adoption. Le relire à 30 ans, avec ce nouvel objectif, a été très émouvant. J’y ai retrouvé mon acte de naissance, le nom de ma mère - Nguyên Thi Hoi -, l’hôpital où je suis né, ainsi que des photos de l’époque. Ma mère adoptive m’a raconté combien la procédure avait été longue et compliquée, avant qu’une rencontre inattendue ne lui permette de finaliser l’adoption.
Comment avez‑vous amorcé vos démarches pour la retrouver ?
En janvier, j’ai posté ma demande sur le groupe Facebook de l’association, en y joignant mes documents d’adoption. C’est là que j’ai rencontré Tân Sinh Huynh, un adopté devenu un véritable grand frère. Son histoire, marquée par l’abandon, l’exil et les années passées au Vietnam pour aider les orphelins, m’a impressionné. Grâce à lui, j’ai bénéficié de son réseau de journalistes et d’enquêteurs.
Avec un nom très commun comme celui de ma mère, les recherches classiques semblaient impossibles. Tan m’a suggéré de passer par la presse vietnamienne. En mars, un article a été publié dans Dân Tri, et seulement trois jours plus tard, un cousin m’a écrit sur Facebook pour me dire qu’il connaissait ma mère. J’étais bouleversé. J’ai voulu rester prudent, en attendant les résultats ADN, mais au fond de moi j’y croyais déjà.
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Quels sentiments vous ont traversé lorsque vous l’avez vue pour la première fois ?
Du coup, c'est après quatre semaines, en mai, que les échantillons d'ADN ont été reçus et seulement 24 heures plus tard que j'ai rencontré ma mère pour la première fois en visio.
J'étais très stressé à l'idée que l'annonce des résultats ADN soit négative et en même temps. J'avais déjà eu beaucoup d'informations à travers les articles faits sur elle où j'avais déjà fondu en larmes lorsqu'elle a abordé les circonstances de l'abandon. Donc j'étais émotionnellement prêt pour ses retrouvailles.
Quels ont été vos premiers mots échangés - les vôtres pour elle, et les siens pour vous ?
Mes premières paroles pour ma mère biologique ont été de lui témoigner ma reconnaissance et mon respect pour son geste fort lors de mon abandon. C'était un geste d'amour à mes yeux. C'était un geste pour me promettre une vie meilleure.
Donc je lui ai dit que j'ai eu une enfance heureuse, une famille aimante et une bonne éducation. Je lui ai dit aussi que j'avais hâte de la retrouver et renouer des liens avec elle et toute la famille au Vietnam. Et elle m'a répondu de prendre soin de moi, de prendre soin de ma santé, de ne pas me précipiter pour venir et de prendre tout le temps que je voulais, qu'il y avait toute une famille qui m'attendait avec impatience et qui prendrait soin de moi lorsque j'arriverais.
Un souvenir sans doute inoubliable… Comment parvenez‑vous à dialoguer avec votre mère malgré la barrière de la langue ?
L’émotion est tellement forte que les mots parfois deviennent secondaires. Ma cousine Winnie, que je considère comme ma sœur, joue un rôle essentiel : elle parle anglais et traduit la plupart de nos échanges. Ma mère, de son côté, utilise un petit appareil de traduction.
Mais au-delà de tout, c’est sa manière d’exprimer son amour par des gestes simples qui me touche le plus. Cela me rappelle mon père adoptif : c'est une personne qui parle assez peu, mais qui témoigne son amour par des actions significatives et importantes.
Ça me touche beaucoup, c'est ce qu'on appelle chez moi, et c'est ce qu'appelle ma mère l'intelligence émotionnelle, l'intelligence du cœur.
Au‑delà des paroles, qu’avez‑vous découvert d’elle qui vous a le plus touché ?
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Ce qui m'a le plus touché sur son histoire, c'est le fait que ma mère biologique, elle est restée célibataire toute sa vie. Elle s'est occupée de la maison, du jardin et des enfants de sa sœur.
C'est aussi ce qui a fortement impacté ma rencontre avec elle, la raison pour laquelle la plupart des adoptés que je connais se voient refuser les trouvailles, et que leur mère biologique ont reconstruit une nouvelle vie, et qui veulent cacher cela à leur nouvel entourage. Pour ma part, toute la famille était déjà au courant de l'histoire, ce qui a permis à mon cousin de me contacter après l'article, mais surtout que tous soient heureux de me retrouver.
Après seulement quelques jours ensemble, comment décririez‑vous votre relation aujourd’hui ?
Cela fait seulement quelques jours que je suis arrivé, mais je me sens déjà très proche de ma mère et de toute ma famille. Leur accueil est d’une grande générosité.
Ma famille adoptive est plutôt modeste. Ma mère était institutrice, et mon père travaille à son compte dans le bâtiment et l'artisanat.
Je suis un artiste indépendant qui essaie de survivre dans une ville très prisée comme Paris. Je suis extrêmement touché par l'accueil que j'ai eu jusqu'à aujourd'hui.
Que représente pour vous le mot “famille” désormais ?
Ces derniers mois, le mot “famille” a pris un sens totalement nouveau. Il y a d’abord le lien avec les autres adoptés : nous nous soutenons, nous nous comprenons d’une manière unique. Puis il y a ma famille adoptive, qui m’a permis d’être l’homme que je suis aujourd’hui. Et désormais ma famille biologique, que je découvre jour après jour.
Pour moi, la famille n’est pas seulement le lien du sang. C’est celle qu’on choisit, celle qui est là pour vous et pour qui vous êtes là.
En quoi cette expérience a‑t‑elle transformé votre regard sur vous‑même, et quels projets nourrit‑elle pour l’avenir ?
Oui, et ce n’est qu’un début. J’essaye de ne pas avoir trop d’attentes, je me laisse guider par mon cœur et mon intuition. Je vais rester plusieurs mois au Vietnam, pour me reconnecter à mes racines et prendre du temps pour moi.
Voyager est une expérience de vie précieuse, et le faire avec ce supplément d’émotion lié aux retrouvailles est quelque chose d’unique.
Envisagez‑vous de consacrer un film à cette histoire personnelle ?
L’idée me traverse bien sûr l’esprit. Mais un film ou un documentaire demande du temps et des moyens. Pour l’instant, je préfère partager mon histoire sur les réseaux sociaux. Je sais qu’elle a déjà touché beaucoup de gens à travers la presse, et cela m’encourage. J’aimerais un jour la retranscrire à travers mon regard artistique.
Et peut‑être… imaginez‑vous un jour revenir vivre ou travailler au Vietnam ?
Oui évidemment l'idée de vivre au Vietnam, je pense qu'elle dépendra surtout des mois qui suivent.
Je ne suis pas contre cette idée, j'y suis même bien ouvert, mais je n'en fais pas forcément un objectif pour le moment. Je pense que le destin choisira pour moi comme il a choisi pour mes recherches et pour mes retrouvailles.
Merci infiniment d’avoir partagé avec nous une histoire à la fois intime et universelle. Que cette retrouvaille ouvre un nouveau chapitre - pour votre relation avec votre mère, mais aussi pour vos prochaines créations artistiques.
Et merci à toutes et à tous d’avoir suivi ce nouvel épisode de “Les francophones au Vietnam” sur Le Courrier du Vietnam.
À très bientôt.
Mai Quynh/CVN






















