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Le "Truyên Kiêu", ou "Kim Vân Kiêu", est un chef-d’œuvre littéraire du Vietnam écrit par Nguyên Du au XVIIIe siècle. |
Les poèmes de Hô Xuân Huong (1772-1822) d’une crudité savoureuse que les lettrés lisaient sous le manteau font plutôt partie de la paralittérature.
Les seuls vers classiques qui osent évoquer le nu féminin sont :
"Pureté de jade, blancheur d’ivoire
Modelé impeccable, chef-d’œuvre du Créateur"
(Ro màu trong ngoc trang ngà
Dày dày san đúc môt toà thiên nhiên).
Ils figurent dans le Truyên Kiêu (Histoire de Kiêu), roman en vers considéré comme un chef-d’œuvre inégalé de la littérature vietnamienne, création de Nguyên Du (XVIIIe siècle) qui allie à merveille des littératures savante et populaire.
Bien que l’œuvre soit marquée profondément par le rigorisme confucéen et le karma bouddhique, l’auteur prime sa sympathie pour deux héros peu conventionnels : Kiêu la prostituée (pure), Tu Hai le brigand (généreux).
Kiêu est une jeune fille belle et douée, obligée de se vendre pour sauver sa famille, sacrifiant son amour. Pendant 15 ans, elle mène une vie pleine de vicissitudes, comme prostituée, concubine, femme de brigand, bonzesse, avant de retrouver celui qu’elle aime, déjà marié.
Franchir le Rubicon de la sensualité
Pour beaucoup de générations, le roman Truyên Kiêu est une bible d’amour, amour idéalisé. Malgré son romantisme, l’auteur, fidèle aux pulsations de la vie, ne peut éviter de faire allusion aux ébats amoureux. Moraliste et moralisateur comme tout lettré qui se respectait, il a réussi à franchir de nombreuses fois le Rubicon de la sensualité sans employer la langue vulgaire.
Ma Giám Sinh le maquereau est chargé par son amante, la tenancière Tú Bà, de faire un mariage blanc avec Kiêu pour l’emmener vierge à sa maison de tolérance. Mais il ne pouvait résister au désir de goûter aux charmes de la jeune fille.
Il raisonne :
"Puisque le fruit divin (pêche des immortels) est à portée de mes mains profanes,
Cueillons le rameau et mangeons jusqu’à satiété
En ce bas monde, il n’y a pas tellement de connaisseurs parmi les chercheurs de plaisir
Si peu de gens connaissent les secrets des fleurs qu’ils caressent".
(Ðào tiên roi đên tay phàm
Thì vin cành quýt cho cam su đoi
Duoi trân mây mat làng choi
Choi hoa đa dê mây nguoi biêt hoa).
Voici comment Nguyên Du a décrit la scène de la brutale défloraison de Kiêu :
"Hélas, la tendre fleur de camélia connut l’outrage du bourdon
Dans ses replis les plus secrets, le vil insecte vint butiner
Ce fut une bourrasque lourde de pluie fouettante
Sans pitié pour la perle, sans égard pour le parfum"
(Tiêc thay môt đóa trà mi,
Con ong đa to đuong đi lôi vê
Môt con mua gió nang nê,
Thuong gì đên ngoc tiêc gì đên huong).
Comme Kiêu, à la maison de joie, refuse de recevoir les clients, Tú Bà la soumet à la bastonnade. Elle la force à apprendre l’art de la prostitution :
"Apprends par cœur
Les sept manières de séduire et les huit pratiques du plaisir"
(Này con thuôc lây làm lòng,
Vành ngoài bay chu, vành trong tám nghê).
Naturellement, Nguyên Du se garde de donner les précisions sur ces manières et ces pratiques obscènes.
Martyrisée, Kiêu doit accepter son sort et promettre à la tenancière de faire le métier de courtisane :
"Condamnée au sort d’anguille vivant dans la boue, je ne craindrai plus de salir ma tête.
Je m’engage à me débarrasser de ma pudeur et de mes scrupules".
(Thân luon bao quan lâm đâu,
Chút lòng trinh bach tu sau xin chua).
Un brin de virginité
Revenons au temps où Kiêu, dans toute sa pureté, rayonnait comme une fleur printanière !
Un jour, elle rencontra l’étudiant Kim Trong. Ce fut le coup de foudre pour les deux. Ils se virent en cachette plusieurs fois, violant le tabou familial.
Un soir, enivré par de doux épanchements, le jeune homme esquissa des gestes d’une tendresse un peu osée que Kiêu arrêta en lui rappelant que pour les amoureux bien éduqués, le mariage ne pouvait être consommé que pendant la nuit nuptiale :
"Nuage et pluie (allusion mythologique pour dire "ébats amoureux", "plaisirs sexuels") précoces pourraient détruire pierre et or (image de la fidélité au serment conjugal)".
(Mây mua đánh đô đá vàng)
Kiêu pria son amant de calmer la flamme de sa passion et d’attendre le jour du mariage :
"Pourquoi vous hâter de briser
le rameau de saule et d’arracher la fleur ?
Tant que je vivrai, j’aurai l’occasion de vous payer la dette d’amour".
(Vôi chi ép liêu nài hoa,
Còn thân at cung đên bôi có khi)
Après avoir été abusée par un maquereau et de longues années d’opprobre, Kiêu devait regretter de ne s’être pas donnée à son amoureux :
"Si j’avais su que je serai tombée si bas,
J’aurais donné la fleur de ma jeunesse à l’homme de mon cœur".
(Biêt thân đên buoc lac loài,
Nhi đào thà be cho nguoi tình chung)
La kyrielle de malheurs de Kiêu ne prit fin que quand Kim Trong réussit enfin à la retrouver après de laborieuses recherches. Mandarin en place et marié avec la sœur de Kiêu (sur la proposition de Kiêu avant son exil), il demanda à Kiêu l’union matrimoniale, la bigamie étant chose courante.
Kiêu accepta l’amitié et non l’union charnelle :
"De ma virginité, il ne me reste que ce brin,
Que je le sauvegarde au lieu de le fouler aux pieds"
(Chu trinh còn môt chút này,
Chang câm cho vung, lai giày cho tan)
Ce brin de virginité que Kiêu veut préserver, c’est la pureté de son amour dont elle ne veut pas souiller l’image par des contacts charnels jugés indignes d’un passé sacré.
(Juin 2004)