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Le banh mi avec sa garniture à la vietnamienne jouit aujourd’hui d’une renommée internationale. |
Le colonialisme passe, le pain demeure. La mutation linguistique à ce sujet est symbolique. Rappelons que depuis la Révolution d’Août 1945 qui a mis un terme à 80 ans de domination étrangère, Hô Chi Minh a rebaptisé le pays «Vietnam» en remplacement du terme «Annam» qui évoque une longue période d’asservissement chinois. Du même coup, tous les mots avec Tây (Occidental, venu de l’Occident, c’est-à-dire français, mot de connotation péjorative) ont progressivement changé. Quân ao Tây (vêtements occidentaux, français) est devenu âu phuc (costume européen). Tiêng Tây (langue occidentale française) est devenu tiêng Phap (langue française), etc.
D’où vient le mot banh mi ?
C’est peut-être dans ce sillage que le terme banh Tây (pain occidental, français) a pris la nouvelle appellation de banh mi (pain de blé). Les linguistes me diront si je me suis trompé. Pas tous les vocables avec Tây ont changé. On dit toujours an Tây (manger à l’occidentale), tao Tây (pomme occidentale pour distinguer ce fruit de la jujube), ruou Tây (boissons alcoolisées occidentales différentes de notre alcool de riz appelé ruou ta = alcool local)... Le terme méprisant me Tây (courtisane occidentale) pour daigner les Vietnamiennes mariées à des Français n’a disparu que longtemps après la Révolution, quand le mariage mixte s’est banalisé.
Revenons à notre «pain occidental», banh Tây. Je me rappelle qu’à l’école primaire coloniale, j’ai été très intrigué par un poème de Hugo, appris comme récitation, au sujet du châtiment infligé à une fillette : «Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir». Le pain sec était une friandise, pour les petits Vietnamiens de mon époque ! Seuls les enfants de famille citadine aisée pouvaient manger du pain au petit-déjeuner. Les écoliers se délectaient de la moitié d’un mauvais pain trempé dans du vinaigre très pimenté. Le grand luxe pour eux était un sandwich au pâté de buffle poivré.
En ville, une partie des fonctionnaires «occidentalisés» prenaient le matin du café avec du pain, du pâté, du beurre ou une omelette. On n’aimait que le pain blanc, pas le pain bis et le pain noir. Tard dans la nuit, les colporteurs de pain passaient dans les rues, annonçant de leur voix traînante : «Qui veut du pain occidental, chaud et croustillant ?» Aujourd’hui, le pain est entré dans les habitudes sociales, surtout en ville. Une bonne partie des gens le consomme au petit-déjeuner, mais jamais aux deux repas principaux où le riz est roi.
La forme du croissant, rebaptisé +banh sung bo+, renvoie à la corne de bœuf. |
Photo : CTV/CVN |
L’origine du banh sung bo
Au temps de la colonisation, le croissant faisait figure d’aristocrate auprès du pain. Il se vendait beaucoup plus cher. Seuls les enfants de famille riche pouvaient déguster un croissant au beurre au petit-déjeuner. D’autre part, il ne devrait pas plaire au paysan vietnamien allergique au lait et à tous produits laitiers. Il cultivait le riz et ignorait l’élevage de vaches laitières. Le mot «croissant» a été traduit : banh sua (gâteau au lait). Par économie et pour conquérir un marché plus vaste, cette pâtisserie a fini par n’employer que du sucre au lieu de lait ou de beurre. Elle a même adopté parfois la forme de pleine lune.
L’imagination populaire a donné un nouveau nom au croissant : banh sung bo (gâteau corne de bœuf), ce qui nous rapproche du sens étymologique du vocable européen... «Croissant» se dit en allemand Hoernchen (petite corne), terme adopté par les Viennois après la victoire autrichienne de l’Empire turc et de la religion musulmane (la corne caricature le croissant). Il y a donc 300 ans, les pâtissiers viennois ont inventé le croissant. Selon José-Alain Fralon qui a fait une analyse pleine d’humour des «Mystères du croissant» (Le Monde, sélection hebdomadaire, Sept. 2004). On dit encore, à Vienne, «manger un croissant, c’est manger un Turc».
Aujourd’hui, le Parisien trempe chaque matin le croissant «dans son petit noir sur le zinc du bistrot avant d’aller au turbin... Le croissant est (devenu) français, et bien français»... grâce à l’intervention de la reine Marie-Antoinette et de l’impératrice Eugénie de Montijo. Le croissant se démocratise et se banalise dans la première moitié du XXe siècle au point de «devenir, avec la baguette et le camembert, un des éléments constitutifs de la caricature du Français moyen». Depuis quarante ans, P. Bigot fait de bonnes affaires au Japon en fournissant des croissants français à Tokyo. À Vienne aussi, le croissant français triomphe.
(2005)
Huu Ngoc/CVN