Nguyên Du, qui est-ce ?

Il y a au Vietnam deux écrivains dont le nom a été transcrit de la même manière : Nguyên Du. Pourquoi cela ? Parce que la langue vietnamienne est monosyllabique. Éclairage.

Le Truyên Kiêu (L'histoire Kiêu) de Nguyễn Du. 

Nguyên Du, qui est-ce? Pour répondre à cette question, le lecteur occidental se hâte de consulter un dictionnaire de son pays. Consultation faite, il est Gros-Jean comme devant car les renseignements diffèrent, les uns concernant un monsieur du XVIe siècle et les autres un homme du XVIIIe siècle.

Y aurait-il deux personnages différents ou s’agirait-il d’une erreur éditoriale ? La vérité est qu’il y avait deux écrivains dont le nom a été transcrit de la même manière : Nguyên Du. Pourquoi cela ? Parce que la langue vietnamienne est monosyllabique et que chaque syllabe a six tons. Pour une bonne transcription phonétique, il faut marquer la différence de tons par des signes diacritiques. Faute de signes diacritiques, les imprimeurs font de deux noms un mot homographe.

D’où la confusion, le même mot Nguyên Du pour désigner à la fois l’écrivain du XVIe siècle Nguyễn Dữ et le poète du XVIIIe siècle Nguyễn Du. Je crois inutile de présenter notre poète Nguyễn Du (1765-1820) dont Le Truyên Kiêu (L’histoire de Kiêu) a été traduit en une dizaine de langues signalons en passant au sujet de ce chef-d’œuvre des erreurs commises par quelques dictionnaires. Par exemple le Robert 2 (édition 1975) qui a affirmé : «Nguyên Du a écrit en caractère chinois un ouvrage considéré comme le chef-d’œuvre de la littérature vietnamienne, le Kim Vân Kiêu». Quelle bévue ! Nguyên Du l’a écrit en nôm, idéogrammes vietnamiens, et non en chinois.

Nguyễn Dữ (XVIe siècle) mérité d’être mieux connu. Loin d’être un écrivain mineur, il a ouvert la voie à la fiction vietnamienne avec son Truyên ky man luc (Recueil de contes merveilleux) qui fait penser aux Histoires extraordinaires d’Edgar Poe. Nous donnons ci-dessous la traduction d’un de ses contes.

Le procès du palais du Dragon

Une lettre à la messagère

(Suite)

La jeune fille vint au temple dédié au Génie-Serpent à crête de Hông Châu. Se renseignant, elle apprit qu’effectivement il y avait une dame de la famille Duong à qui avait été conféré le titre de «Dame du territoire de la Beauté», que celle-ci habitait un château de cristal entouré d’étangs de nénuphars, qu’elle recevait de la part du Génie des faveurs nuptiales dépassant celles des autres femmes du palais, et qu’elle avait donné naissance à un garçon. La messagère se réjouit, mais ne put trouver son chemin dans ce palais aux multiples pavillons et bâtiments à plusieurs étages. Elle se résigna à attendre devant la porte. Le printemps était dans toute sa splendeur, les roses fleurissaient à profusion, comme autant de petits lambeaux de nuage rouge éparpillés à la crête des murs. Jouant l’étourdie, elle cueillit des fleurs en secouant fortement les branches. Le portier entra dans une violente fureur. Elle s’excusa en lui remettant l’épingle d’émeraude :

- Croyant que ces fleurs peuvent être cueillies librement, j’y ai porté la main. Je reconnais ma faute. Je crains que mon corps frêle ne puisse supporter d’être frappé. Je vous prie de remettre ce présent à la princesse pour qu’elle me pardonne. Je vous en serai infiniment reconnaissante.

Le portier apporta l’épingle à la dame Duong. Celle-ci examina longuement le bijou, puis simula la colère :

- Quelle est cette gamine mal élevée qui a osé détériorer toute ma tonnelle de roses de brocart ?

Elle donna l’ordre de ligoter la jeune fille dans le jardin d’abricotiers. Profitant d’un moment où il n’y avait personne, elle s’y faufila, tenant l’épingle à la main.

- Ceci appartient au Seigneur Trinh, mon ancien mari, dit-elle en pleurant. Comment peut-il être entre tes mains ?

La jeune fille raconta ce qui s’était passé :

- Ce bijou m’a été remis par les Seigneur Trinh. Il est actuellement chez le marquis du Dragon blanc. Torturé de nostalgie, il en oublie de dormir et de manger. Il m’a chargée de venir vous témoigner son attachement indéfectible pour acquitter l’ancienne dette d’amour qui vous lie tous deux.

- Ces paroles à peine dites, survint une servante informant Dame Duong que le Génie Serpent à crête lui ordonnait de venir. Celle-ci s’empressa de partir.

L

Le lendemain, de grand matin, elle revint à nouveau, parla à la messagère d’un ton affable et lui remit une lettre.

- Je vous prie de dire au Seigneur Trinh que sa femme infortunée, dans le pays lointain des eaux, pense constamment à lui. Qu’il cherche tous les moyens pour que le phénix évolue à nouveau dans les nuages, que le coursier revienne à la porte frontière (6) et que je ne vieillisse pas dans ce Palais des eaux.

Voici le contenu de la lettre :

«Hélas ! Les serments faits ensemble devant les mers et les montagnes n’ont pu être tenus. Que notre vie est malheureuse, battue par les vents et les pluies ! À travers les dix mille lieues de monts et de fleuves, je vous envoie ces mots qui me viennent du coeur. Je ne cesse de méditer sur ma destinée combien mince et fragile, sur mon corps, combien frêle et faible. L’union étant faite par le Ciel, nous avons espéré pouvoir être enterrés dans une même tombe. En une nuit, le malheur s’est abattu sur nous, et j’ai été précipitée dans l’abîme. Je n’ai même pas pu me noyer, c’est pourquoi je me résigne à voir la lune décliner et les fleurs se flétrir. Mes vêtements sont imprégnés d’odeurs nauséabondes, mon corps et ma vie sont à l’agonie. Ma tristesse est immense comme l’océan et mes jours aussi longs que des années.

Heureusement, dans cet état désespéré, vient de me parvenir votre lettre pleine de sollicitude. À la vue de l’épingle, les larmes emplissent mes yeux. L’arrivée de la messagère remplit mon âme de douleur. Après ce faux pas, même les herbes folles et les fleurs vulgaires me rendent confuse, mais le Ciel et la Terre immenses sont témoins de ma fidélité à nos serments indéfectibles à travers les différentes transmigrations. L’émeraude reste encore taché, daignez apporter votre coeur d’or pur pour la racheter».

La jeune fille à robe bleue revint apporter la nouvelle.

- On peut maintenant agir, dit le marquis de Dragon blanc à Trinh.

Tous deux se dirigèrent vers la Mer du Sud et arrivèrent devant une grande citadelle. Le marquis entra le premier, après avoir recommandé à Trinh d’attendre à la porte. Un instant après, Trinh vit un homme en sortir qui l’introduisit dans un palais où siégeait un roi vêtu de rouge, avec une ceinture garnie de jade et assisté de nombreux ministres. Trinh se prosterna et exposa son cas avec des accents déchirants.

Le Roi se tourna vers un ministre à sa gauche, et lui dit d’envoyer immédiatement une convocation. Deux soldats s’empressèrent de partir. Au bout d’une demi-journée environ, ils revinrent, escortant un homme robuste, coiffé d’un bonnet rouge au-dessus d’un visage noir à la barbe hirsute comme des fers de lance. Celui-ci se prosterna au milieu de la cour.

- Les dignités ne sont jamais conférées à travers, dit le Roi d’un ton sévère, elles sont réservées à ceux qui se sont rendus utiles. Les peines ne sont jamais infligées à la légère, elles sont destinées aux criminels et aux malfaiteurs. Tu as eu jadis des mérites, c’est pourquoi je t’ai accordé la direction de tout un territoire avec mission de protéger le peuple. Mais tu profites de ton titre pour assouvir ta passion de luxure, est-ce là une façon de supprimer les souffrances et de remédier aux malheurs de la population ?

L’accusé chercha à se disculper :

- Celui-ci vit sur la terre, je vis sous les eaux. Nous appartenons à deux domaines distincts, sans relation aucune. Et pourtant visant à me nuire, celui-ci ose me calomnier! Si Votre Majesté croit à sa déposition, elle et la Cour seront induites en erreur par des accusations mensongères et je serai puni sans aucune preuve. Je crois que ce n’est pas là un moyen propre à sauvegarder les intérêts des inférieurs.

Devant la Cour, les deux parties se contredirent. Quant à l’inculpé, il persista à nier toute faute. Le Roi perplexe ne savait que faire. Le marquis du Dragon souffla à l’oreille de Trinh:

- Donnez des précisions sur votre épouse: son nom, son âge et priez le Roi de la faire venir au Palais.

Pour trouver la juste solution

Le Truyên ky man luc (Recueil de contes merveilleux) de Nguyễn Dữ, composé de 20 contes, fait penser aux Histoires extraordinaires d’Edgar.
Photo : CTV/CVN

Trinh suivit ce conseil. Le Roi ordonna aussitôt de mander Dame Duong. Au déclin du soleil, deux soldats amenèrent une belle femme pleine de grâce, dans de longs habits flottants.

- Où est votre mari ? demanda le Roi.

Mon mari est l’homme habillé en bleu. Quant à l’homme en rouge, il est mon ennemi. J’ai été enlevée de force par ce monstre il y a trois ans. Si votre grâce, tel le Soleil, ne daigne y jeter la lumière, mon âme flétrie et mon corps souillé porteront cette honte toute ma vie, sans espoir de pouvoir regarder les gens en face.

Le Roi se mit en colère :

- Je ne puis concevoir une telle fourberie de la part de ce brigand ! Il a agi poussé par la luxure et osé nier avec cette effronterie. Pour pareille faute, il mérite vraiment d’être condamné à nuit.

À ces paroles, un homme en robe bleue, le greffier principal, s’avança:

- J’ai entendu dire que toute récompense accordée selon des préférences personnelles constitue une violation de la justice, que toute punition infligée dans la colère manque de mesure... Il faut peser le pour et le contre en vue de trouver la juste solution. Le coupable a toujours mis ses forces et son talent de fidèle sujet au service de la paix dans cette contrée lointaine. Bien qu’ayant commis des méfaits graves, il a pu dans une certaine mesure se rendre utile au peuple. Toute faute doit être punie, et dans cette affaire, le coupable mérite dix mille fois la mort. Mais il compte sur votre magnanimité pour avoir la vie sauve, ce qui lui permettra de se racheter par des actes méritoires. Que Sa Majesté lui épargne la peine capitale, et qu’elle ordonne qu’il soit puni de détention dans la noire cellule.

Le Roi l’approuva et rendit la sentence:

- Il est dit que les hommes dans la vie ne sont que des passagers qui se suivent les uns les autres. La voie du Ciel est infaillible, on récolte le bonheur en faisant le bien, on ne peut jouir de la paix en faisant le mal. Ceci est une loi intransgressible à travers les siècles.

Grâce à tes exploits passés, tu t’es vu confier le gouvernement d’une province limitrophe. Tu aurais dû employer tes pouvoirs surnaturels à faire resplendir davantage les vertus magnanimes du dragon (7). Mais tu as suivi la nature vicieuse du serpent et commis le péché de luxure. L’inconduite impunie s’aggrave de jour en jour, c’est pourquoi il faut appliquer une loi sévère et juste. S’emparer de la femme de son prochain par la force témoigne d’une passion effrénée. Une lourde peine doit être infligée pour prévenir les méchants et les pervers. Quant à Dame Duong, bien qu’étant blâmable à cause de la souillure dont elle aurait dû énergiquement se défendre, elle est digne. Qu’elle soit donc rendue à son ancien mari, et que son fils soit laissé au père coupable! Que cette sentence soit exécutée sans faute et sans délai.

Après avoir écouté le jugement, le génie du serpent à crête sortit la tête basse. Les ministres de la Cour firent signe à Trinh de se retirer à son tour. Rentré chez lui, le Marquis du Dragon organisa un festin en l’honneur des époux réunis et leur donna comme cadeaux des cornes de rhinocéros veinées et de l’écaille. Le mari et la femme se prosternèrent en signe de reconnaissance et remontèrent sur la terre ferme. Ils racontèrent après tout ce qui s’était passé aux gens de la famille qui partagèrent leur joie et exprimèrent leur étonnement devant une aventure aussi merveilleuse.

Quelque temps après, Trinh s’en fut à Hông Châu pour régler une affaire. Passant près du temple du génie coupable, il vit les murs renversés, les stèles brisées, couvertes de lichens et de mousse près d’un faux-cotonnier dont les flocons de neige s’envolaient au vent dans la lumière du couchant. Il s’informa auprès des vieillards et apprit ce qui s’y était passé.

«Il y a un an, lui dit-on, un beau matin, la pluie tomba sans que le ciel eût un nuage, et les eaux du fleuve montèrent et débordèrent. On vit alors un serpent long d’une dizaine de truong (8) aux écailles bleues et à la surface de l’eau et se diriger vers le Nord, suivi de centaines de petits serpents. Depuis, le temple a perdu ses pouvoirs surnaturels». En comptant sur ses phalanges, Trinh constata que ce jour était juste celui où il avait intenté le procès au génie.

Huu Ngoc/CVN

(7) Le dragon est le symbole du Roi à qui sont attribuées les hautes vertus du dragon.

(8) Truong : mesure ancienne valant 10 m anciens ou 3m20

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