Ne pas mélanger les torchons et les serviettes !

L’eau est nécessaire à la vie, à la toilette et à la vaisselle ! Non, cette phrase, qui passe du coq à l’âne, n’est pas le résultat d’un excès de boisson alcoolisée, mais l’illustration de ce que peut être un choc culturel. Démonstration…

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L’anthropologue dit que le «choc culturel» se résume à une expérience de stress et de désorientation vécue par la personne devant apprendre à vivre dans une nouvelle culture. Moi, je dis que le plus important est de vivre les quatre étapes de ce fameux choc : lune de miel, confrontation, ajustement, aisance biculturelle. Naturellement, tout ça ne se vit pas une fois par hasard : c’est tous les jours, dans tous les actes de la vie quotidienne. Et dans un pays comme le Vietnam où l’eau est omniprésente, quoi de mieux que de la prendre pour exemple, afin que le lecteur comprenne les affres par lesquelles passe le béotien qui décide de transporter ses pénates à l’autre bout du monde !

Ça gicle partout

Je ne sais pas vous, mais moi, je commence ma journée par une toilette énergique autant destinée à me réveiller qu’à tonifier un organisme amolli par de longues heures de sommeil. Et pour cela, rien de mieux qu’une bonne douche. Donc, destination la salle d’eau, cabinet de toilette ou salle de bain, selon les usages familiaux.

La première fois que j’ai pénétré dans une salle d’eau vietnamienne, j’ai marqué un moment d’hésitation : étais-je bien au bon endroit ? Habitué à trouver en ces lieux une cabine de douche ou une baignoire, je ne trouvai rien qu’un flexible prolongé d’une pomme de douche, accrochée au mur. C’était la pièce entière qui servait de cabine de douche. Ce fût ma lune de miel. Pensez donc, pouvoir éclabousser au large, sans avoir à se nicher à l’étroit entre des parois humides ou ne pas supporter des rideaux de douche trop entreprenants qui se collent à vous sans y être invité !

Comme un canard dans une mare, je m’ébrouais sous des cataractes d’eau dont je me souciais peu de tempérer les ardeurs. L’averse pouvait être abondante, la bonde dans le sol empêchait toute inondation intempestive. La confrontation est arrivée quand, robinet fermé, je me suis aperçu que la serviette de toilette suspendue à un crochet gouttait comme une serpillière, fonction peu appropriée à un séchage corporel efficace. Renforcée, quand j’ai constaté que la masse informe et spongieuse, accrochée au mur, avait été un rouleau de papier hygiénique. Absolue, quand j’ai retiré d’une trousse de toilette transformée en cuvette divers objets dégoulinants d’une eau savonneuse. J’ai alors ajusté, en modérant l’exubérance de mes ablutions et en dirigeant le jet d’une main de maître pour que l’eau n’atteigne que ce qui est nécessaire et épargne ce qui peut bien se passer d’elle.

Dire que j’en suis arrivé à une aisance biculturelle ? Je ne sais pas, mais en tout cas, j’ai appris qu’ici, contrairement à mon pays natal, le tapis de bain est utile hors de la salle d’eau, qu’on y entre avec des sandales en plastique, et que la liberté d’arrosage est limitée à un périmètre restreint, malgré l’absence de barrières. Et en tout cas, j’ai introduit chez moi l’usage de la serpillière, inconnue du côté du fleuve Rouge. Ce qui a créé un choc culturel inverse, dont je parlerai dans une autre tranche de vie !

Toilette sans limites !

Ça coule partout

Parmi les tâches ménagères, il existe une corvée récurrente : la vaisselle. Ce jour-là, avide de montrer que cette corvée peut se transformer en fête familiale, avec force chansonnettes, je décide de prendre mon tour devant l’évier. Je me saisi de la première casserole sale qui traîne par là, et tout en entonnant l’air de Carmen, je récure avec énergie fond, cul et bord, pour délivrer l’infortunée des reliefs de repas. Une fois la belle étrillée et rincée, je cherche du regard l’égoutte-vaisselle, accessoire indispensable à tout évier de cuisine qui se respecte. Las ! J’ai beau regarder, à droite, à gauche, rien qui ressemble à cet ustensile. Je ne vais tout de même pas laisser cette casserole à son triste sort, dégoutter au bout de mes bras.

C’est en levant les yeux au ciel, de désespoir, que la solution m’apparaît ! Là, au-dessus de l’évier, dans le placard à vaisselle, le premier étage n’a pas de fond, ou plutôt c’est une grille qui sert de support aux batteries de cuisine pour qu’elles s’égouttent à leur aise au-dessus de l’évier. Merveilleuse lune de miel que de n’avoir pas à utiliser un torchon pour essuyer un à un tous les objets qui ont servi à confectionner le repas. Laisser la nature faire son œuvre : ça goutte, ça s’évapore, c’est sec !

Confrontation, quand les gouttes tombent comme pluie, coule sur les bras, giclent sur les rebords, rebondissent sur les vêtements. Confrontation quand, si l’on se baisse pour scruter les scories résistantes au fond d’une poêle, on reçoit une averse d’eau tiédasse à l’odeur de détergent. Alors, on ajuste, en sachant se positionner à bonne hauteur, en évitant les rinçages à grande eau, en usant avec sagacité de l’égoutte-vaisselle en hauteur et de cuvettes égouttoirs à côté de l’évier.

Je n’ai pas encore l’aisance biculturelle, en oubliant le torchon à vaisselle. Ce morceau de tissus intelligent qui pendouille à un crochet-ventouse, que l’on jette sur son épaule ou dont on se ceinture, est introuvable au Vietnam. Je me fournis régulièrement auprès des amis qui viennent de France et qui m’apportent à profusion vichy et nid d’abeilles.

Il y a bien encore, dans les yeux de ma tribu, une sorte de compassion désabusée de me voir suer à faire ce que la nature fait d’elle-même : sécher la vaisselle, mais qu’importe ! De temps à autre, il est utile de donner un grand coup de torchon pour retrouver ses marques.

Au final, tous ces chocs culturels m’ont convaincu d’une chose : il faut toujours se méfier de l’eau qui dort, fût-elle aux flancs des gamelles ou à la surface des carrelages !

Texte et photo : Gérard Bonnafont/CVN

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