>>Pérenniser la pharmacopée traditionnelle des Dao de Ba Vi
Des femmes H’mông récoltent des plantes d’artichaut. |
Photo : CTV/CVN |
Le groupe ethnique minoritaire H’mông habite les hauts sommets du Nord, à une altitude de plus de 1.500 m, surtout dans les districts de Mèo Vac et Dông Van de la province de Hà Giang, de Sa Pa de celle de Lào Cai. Les H’mông mènent une vie très difficile à cause du climat rigoureux et de la rareté des terres cultivables et de l’eau. Ils plantent du maïs, du riz, des légumes de zone tempérée, des fruits subtropicaux.
Les H’mông et le monde végétal
Dans une étude élaborée, Diêp Dinh Hoa nous fait connaître "Les H’mông et le monde végétal" (Éditions Van hóa dân tôc, 1998). Nous résumons ici l’essentiel de deux chapitres concernant la médecine et la pharmacopée de ces montagnards.
D’après les H’mông, la maladie provient des troubles causés par deux sortes d’âmes qui habitent le corps. D’une part, il s’agit d’empêcher les âmes instables de quitter les organes où elles logent et de les y faire revenir si elles errent ailleurs. D’autre part, il faut sans cesse revigorer les âmes stables, casanières, qui s’épuisent vite. Point n’est étonnant, comme dans toute autre médecine populaire, que médicaments et aliments se confondent souvent. Conception assez proche de la diététique moderne.
Cependant, certains interdits alimentaires ne peuvent être expliqués scientifiquement. On comprend que la femme en couches ne doit pas boire de l’eau non bouillie (mesure d’hygiène), s’abstient de sel (le sel moisit sans doute rapidement avec l’humidité de la montagne). Mais on ne comprend pas pourquoi, elle évite les poules blanches et les poules à plumage tacheté, ni pourquoi la viande de buffle ou de bœuf lui est interdite.
Le jour de l’An, on ne mange pas de légumes verts et ne prend pas de bouillon, de peur de déchaîner pendant toute l’année des averses causant des maladies au riz. Les maladies sont une forme de vengeance des esprits contre toute offense contre l’environnement. Un hôte étranger pourrait aussi apporter la maladie, il ne doit pas enjamber le seuil d’une maison devant la porte de laquelle est fixée une branche feuillue.
Environ deux tiers des plantes médicinales les plus employées par les H'mông sont cueillies dans la forêt. |
Photo : CTV/CVN |
Il va sans dire que les praticiens sont plus ou moins imbus de croyances populaires. En premier lieu figurent les sorciers qui jouissent d’un grand prestige social. Ils font parfois prendre aux malades des herbes, mais de manière symbolique. Ils guérissent surtout par des rites d’exorcisme en identifiant les démons malfaisants.
Par contre, les guérisseurs (et guérisseuses qui s’occupent surtout des femmes et des enfants) soignent avec des herbes spéciales qu’ils vont cueillir après avoir écouté le malade décrire son mal. Ils ne tâtent pas le pouls, chacun a sa recette familiale ou personnelle. Le gouvernement ouvre des cours spéciaux pour améliorer la qualité professionnelle des guérisseurs en matière de médecine orientale. De plus, des médecins H’mông sortis de l’École supérieure de médecine de Thai Nguyên cherchent à amalgamer les médecines occidentale et orientale. Le peuple fréquente ces sorciers et guérisseurs mais ne manque pas de recourir aux médicaments et à la médecine modernes à leur portée.
Comment les H’mông ont découvert les vertus curatives des plantes ? En observant les animaux. Ils ont constaté que la cardamome avoïde (thao qua) est très recherchée par le renard et l’écureuil. Les feuilles de lanh (Linum usitatissimum L.) donnent la résistance au cheval et augmentent l’immunité du bétail. Après les couches, la chienne aime manger les feuilles de la plante-chienne-en-couches (Siegesbeckia orientalis L.) ; les H’mông s’en servent pour guérir les maladies de femme en couches et favoriser leur lactation.
Une médecine basée sur les plantes naturelles
Parfois, le guérisseur a recours à quelques artifices (rite) mystificateurs pour faire croire au malade l’efficacité d’une herbe trop commune. Ainsi, une guérisseuse de Son La emploie une fougère, le co ho gà (Pteris multifida Poir.), pour traiter la dysenterie amibienne, plante qu’elle cultive dans son jardin même. Mais les gens veulent qu’elle la cueille dans la forêt, pensant que l’effet qu’elle lui donnerait par quelque sortilège caché serait plus efficace. La superstition joue dans la prévention de la maladie. Ainsi, on fait porter au nourrisson sevré une veste qu’il ne faut pas laver, quelques heures par jour.
Cet habit est teint avec les racines de hoang dang (Fibraurca tinctoria Lour) employé dans le traitement de la dysenterie.
Tout guérisseur adore chez lui le Génie-Roi des médicaments (Duoc Vuong) - il n’y a pas de génie de la médecine -, culte parfois accouplé à celui des ancêtres sur le même autel. Grâce à un climat plutôt tempéré, Sa Pa convient parfaitement aux cultures médicinales. Sa station de cultures médicinales est une pépinière qui fournit de jeunes plants à la population locale, y compris les H’mông.
Les enquêtes menées sur le terrain par l’auteur et d’autres chercheurs entre 1962 et 1995 ont donné les résultats suivants sur la composition des plantes médicinales employées par les H’mông de Sa Pa. Environ deux tiers des espèces les plus employées sont cueillies dans la forêt. Les espèces plantées n’occupent qu’un tiers. Certaines sont plantées et aussi cueillies. À l’état vivant, les plantes herbacées dominent (44%), surtout celles à tubercules. Les plus populaires sont faciles à trouver. Les fruits et leurs graines forment 22% des matières médicales. Quelque 31% des herbes servent à faire baisser la fièvre et à traiter la grippe. Dans ces deux cas, on fait aussi prendre un bain de vapeur dégagée par une infusion (dans une marmite) de 12 sortes de feuilles. Environ 28% des médicaments sont préparés sous forme de pommades et de cataplasmes (fracture, entorse, inflammation), 23% sont des toniques.
Les H’mông fournissent une bonne partie des ingrédients exportables (surtout en Chine) : le thao qua, fruit séché employé comme remède et condiment ; le tam thât (Panaux pseudo-ginseng Wull), fortifiant ; le xuyên khung (Gusticum Wallichi Franch) contre l’hypertension ; le duong quy (Angelica sinensis Oliv.), très coté.
(Février 2004)