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>>Sauvetage des animaux sauvages à Dak Lak
Un an et demi est passé. Gold s’est bien accoutumé à sa captivité. |
Photo : CTV/CVN |
Fin d’année sur les hauts plateaux du Centre (Tây Nguyên). La saison sèche débute. La chaleur monte, jour après jour. La station de secours aux éléphants sauvages de la commune de Krông Na, district de Buôn Dôn, province de Dak Lak, relève du Centre de protection des éléphants (CPE) de Dak Lak. Il s’agit d’un espace tranquille de moins d’un hectare, boisé et piqueté de bananiers. Au bord d’un plan d’eau, deux éléphanteaux vaquent à leurs occupations. Il s’agit de Jun, 5 ans, et de Gold, 2 ans. Le premier est là depuis février 2015, le second depuis mars 2016.
Vers midi, Lê Nhât Tân, un des soigneurs, arrive avec un grand biberon. Gold s’approche, lève la trompe pour accueillir la tétine. En moins d’une minute, les 3 litres de lait sont engloutis. "Il est très malin. Il barrit chaque fois que l’allaitement tarde à venir", s’amuse Tân. "Les premiers mois, il était soigné comme un bébé humain : huit allaitements par jour, dont trois la nuit. Une mission sacrée qui, pour nous les hommes, n’est pas facile à remplir du tout", insiste-t-il avec un large sourire. En plus de sa ration de lait, Gold mange des fruits et troncs de bananier hachés. Le sevrage est presque terminé.
Orphelins d’une espèce en sursis
Selon Nguyên Công Chung, directeur adjoint du CPE de Dak Lak, "Jun et Gold sont tous deux des rescapés". Jun a été récupéré dans un piège en février 2015 par les agents du CPE, qui l’ont amené à la station de secours. L’animal, qui avait alors 4 ans, était blessé à une patte et à la trompe. "La douleur le rendait très nerveux voire agressif. Au début, il était très difficile de l’approcher. Et puis, avec le temps, des soins attentifs et l’attitude amicale des soigneurs, il s’est adapté à nous et à son nouvel environnement", raconte le responsable.
L’histoire de Gold est non moins tragique. Vers mars 2016, les agents du CPE l’ont trouvé au fond d’un puits au milieu des brûlis. "Il était alors âgé de 4 mois. Un vieillard du village d’Ea Sup, qui avait autrefois chassé et apprivoisé des éléphants, invité à venir sur place, a estimé qu’il ne pourrait survivre sans sa mère", raconte le soigneur Phan Phu.
Après consultation d’experts, le CPE de Dak Lak a décidé de remettre le bébé en forêt, en le relâchant près de son groupe lorsque celui-ci viendrait boire de l’eau. "Nous avons passé des nuits blanches à attendre l’arrivée de la troupe d’éléphants sauvages. Quatre fois, en vain. La dernière fois, elle est venue. Nous nous sommes approchés avec Gold, mais celui-ci, au lieu de rejoindre ses congénères, est retourné vers nous", poursuit Phan Phu. Un an et demi est passé. Gold s’est bien accoutumé à sa captivité.
Recréer un environnement de vie riche et stimulant
Jun (grand) et Gold sont pris en charge à la Station de secours aux éléphants sauvages de Dak Lak. |
Pour les soigneuses, apprendre à Gold à manger des aliments solides ne fut pas une sinécure. En cherchant dans des livres des informations sur les techniques de sevrage, les soigneurs ont appris que le bébé devait consommer des excréments de sa mère pour préparer son appareil digestif. Un période cruciale avant qu’il ne puisse manger feuilles, fruits ou canne à sucre.
La tâche d’aller ramasser en forêt des bouses fraîches d’éléphants sauvages fut dévolue aux… soigneuses. Le succès fut au-delà des espérances.
En captivité, le répertoire comportemental est souvent réduit à manger et dormir. Dans ce monde sans danger, sans défis, où l’espace est réduit, il y a de la place pour l’ennui. Pour éviter que les animaux ne développent un malaise psychologique et physiologique, il faut enrichir leur environnement. "Pimenter" la vie des éléphanteaux est une tâche importante des soigneurs. "Il faut stimuler leur instinct pour qu'il puisse un jour éventuellement retourner à la vie sauvage", explique Phan Phu.
L’enrichissement peut être alimentaire, olfactif, auditif ou matériel (objets, jouets). Chez les éléphanteaux, comme chez l’enfant, le jeu occupe une place très importante. À l'heure de la récréation, ils sont emmenés sur un terrain équipé de pneus suspendus à des cordes, de morceaux de bois entassés, de fruits cachés… "Regardez-les, ils s’en donnent à cœur joie. Cet espace aménagé les encourage à utiliser leur habileté naturelle, à promouvoir des comportements spécifiques à l’espèce et leur permet de vivre de nouvelles expériences", explique Phan Phu.
Dans un proche avenir, l’Animals Asia au Vietnam, qui gère le CPE de Dak Lak, accordera une aide pour élargir la station de secours aux éléphants sauvages. "Ce sera un espace polyvalent : traitement vétérinaire, programme de reproduction et aussi hospice pour les éléphants âgés ou invalides", s’est réjoui le directeur adjoint Nguyên Công Chung.
Rappelons que l’éléphant est un des symboles du Tây Nguyên. Mais le braconnage et la déforestation font que dans la province de Dak Lak, surnommée au Vietnam le "Pays des éléphants", il n’y a plus que cinq troupeaux pour un total de 60 à 70 individus contre… 550 en 1980.
Les scientifiques sont unanimes : au rythme actuel, dans une génération, les éléphants sauvages auront disparu du pays. Gold et son compagnon de jeu Jun auront une lourde responsabilité : ils font partie des derniers espoirs de survie de l'espèce dans le pays.
Nghia Dàn/CVN