>>Un vieux calligraphe connu de la capitale
>>Les villages de montagne au printemps
>>Quand le patrimoine culturel vit avec la population
>>Connecter My Son avec les autres patrimoines du Centre
Des sentences parallèles écrites dans un style calligraphique. |
Photo : Archives/CVN |
Vu Dinh Liên, homme de lettres francophone, pionnier de la «Poésie Nouvelle» des années 1930 au Vietnam, ressemble en un point au poète français Arvers : il est comme lui célèbre grâce à un seul poème. Dans son œuvre Ông đô (Monsieur le Lettré), Vu Dinh Liên (1913-1996) dit la détresse du vieux lettré vendant de plus en plus mal ses caractères calligraphiés à l’occasion de chaque Têt (Nouvel An traditionnel).
Chaque année s’ouvre la fleur de pêcher
On retrouve le vieux lettré
Encre de Chine et papier pourpre étalés
Sur un trottoir parmi tant de passants.
Nombreux, ils demandent une calligraphie
Puis prodigues de louages s’extasient :
«Quel tour de main pour tracer ainsi des traits
Beaux comme un vol de dragon, une danse de phénix».
Mais chaque année, on compte les absents
Où sont-ils ceux qui demandent une calligraphie
Le papier triste perd son éclat
L’encre sèche dans l’écritoire mélancolique ...
Le vieux lettré est toujours assis là
Ils passent leur chemin - nul ne le voit
Sur le papier tombe la feuille jaune
Dans l’air vole la fine bruine.
Cette année elle s’ouvre de nouveau la fleur de pêcher
On ne trouve plus le vieux lettré
Les hommes du temps passé
Où s’en sont-ils allés ? (1)
À la recherche du temps perdu
La disparition du vieux calligraphe rappelle la mort de l’ancienne culture sino-vietnamienne dont le crépuscule s’annonçait dès le début du XXe siècle, face aux coups de butoir de la culture occidentale moderne apportée par l’administration coloniale française. Il était d’usage, une dizaine de jours avant le Têt, que les lettrés assis sur des nattes dans un coin de marché ou de rue(2) tracent sur du papier écarlate de beaux idéogrammes en han (chinois classique) ou en nôm (écriture démotique pour la transposition phonétique du vietnamien). Ils trempaient leurs gros pinceaux dans un écritoire d’encre de Chine pour écrire les caractères «Bonheur», «Longévité», «Génie», sur de grands carrés de papier rouge... ou des vœux de prospérité sur de longs rectangles de papier parallèle.
Un calligraphe au travail. |
Un vieux dicton résume ainsi les caractéristiques essentielles du Têt :
«Thịt mỡ, dưa hành, câu đối đỏ,
Cây nêu, tràng pháo, bánh chưng xanh»
(Viande grasse, oignons salés, sentences parallèles
Mât du Têt, chapelet de pétards, gâteaux du riz gluant verts)
Aussi, chaque famille tenait-elle à avoir une paire de sentences parallèles rouges, le rouge étant la couleur du bonheur, de la chance, qu’elle collait à la place d’honneur de la maison, d’ordinaire des deux côtés de la porte d’entrée ou de l’autel des ancêtres. L’espoir d’une vie meilleure pour le Nouvel An constitue le fond des sentences parallèles. Citons comme exemple une composition ironique du lettré Nguyên Công Tru :
«Chiều ba mươi, nợ hỏi tít mù, co cẳng đạp thằng Bần ra cửa,
Sáng mùng một, rượu say túy lúy, giơ tay bồng ông Phú vào nhà».
(Le soir du 30e jour (dernier mois de l’année lunaire), les créanciers s’acharnent, on plie la jambe pour pousser la Pauvreté dehors.
Le matin du 1er jour du Nouvel An, grisé par le vin de riz, on tend les bras pour inviter la Richesse à entrer).
Huu Ngoc/CVN
(1) Anthologie de la littérature vietnamienne, Hanoï, 1982
(2) À Hanoï, c’était la rue des Paniers dans le Vieux quartier