>>Le xôi, un plat bien connu au Vietnam
Des employés s’affairent au restaurant Trân Công Châu. |
Thang Long, la capitale d’antan rebaptisée Hanoï depuis, réunissait des centaines de villages en périphérie célèbres pour leurs produits artisanaux typiques. Au fil des années et d’une histoire pour le moins tourmentée, certains ont tout simplement disparu, et d’autres sont en passe de disparaître.
Aujourd’hui, il reste cependant encore quelques villages fidèles à leur métier de toujours. Et c’est sans doute celui d’Uoc Lê qui remporte la palme de l’originalité. Connu depuis le royaume féodal de la dynastie des Mac, le pâté (giò cha en vietnamien)préparé avec fierté dans ce village est distribué partout au Vietnam et exporté dans plusieurs pays. Si le giò cha Uoc Lê est omni-présent sur la table des familles vietnamiennes, rencontrer une famille résidant encore au village qui exerce ce métier est une autre histoire.
Pour accéder au village, il faut d’abord enjamber un pont en forme d’arche de deux mètres de hauteur. Une fois à l’intérieur, après avoir franchi le magnifique portique d’entrée portant l’inscription My Tuc Kha Phong (littéralement «Traditions bien appliquées») offerte par le roi Tu Duc en 1880 lors de son voyage dans le Nord, la quiétude de ce patelin discret frappe les esprits. Il faut dire qu’Uoc Lê n’est plus que l’ombre de lui-même, un nombre considérable de familles issues du village étant parti travailler ailleurs, amenant avec elles leur métier transmis de père en fils dans plusieurs grandes villes du Vietnam, et contribuant ainsi à développer les produits gio cha Uoc Lê.
Préserver le métier coûte que coûte
Exemple dans la rue Trân Xuân Soan, au cœur du Vieux quartier de Hanoï, où se trouve un restaurant dont les propriétaires, Trân Công Châu et Tô Thi Duyên, sont originaires d’Uoc Lê. Ils sont les premiers à avoir délocalisé le métier traditionnel dans la capitale.
Madame Duyên avoue volontiers ne pas savoir quand exactement ce métier est apparu. Elle a simplement entendu parler de son origine, qui remonterait à la dynastie des Mac, où une dame de la Cour aurait transmis la recette des gio cha aux villageois d’Uoc Lê, lesquels ont jalousement gardé le secret pour le transmettre à leur descendance. Pendant les années 80, période ô combien difficile pour le pays, le gio cha était considéré comme un plat de gala, ce qui rendait éminemment fière la jeune femme d’alors.
La vie lui a donné son époux, Trân Công Châu, qui l’a encouragée à poursuivre le métier de charcutier spécialisé dans le gio cha après des années à travailler à l’usine. Compte tenu de la faible demande dans le village, le couple a décidé de s’installer à Hanoï. Ils ont démarré leur affaire en se contentant de distribuer aux restaurants de la capitale et des alentours leur pâté traditionnel. Des débuts compliqués. La concurrence faisait rage et leur enseigne avait une réputation à se forger...
Mais la persévérance de ces enfants du village d’Uoc Lê a fini par payer. La famille de Châu et Duyên met l’accent sur l’origine de ses produits, mais aussi sur la qualité sanitaire. Le processus de sélection des ingrédients exige des critères très rigoureux car ils constitueront des éléments décisifs pour la qualité des pâtés:
«Au moment où les difficultés s’enchaînaient, nous n’arrivions même pas à écouler nos produits, à tel point que nos proches nous ont conseillés de nous reconvertir. Mais nous avions ce patrimoine ancestral dans la peau. Au final, l’avenir nous a donné raison», confie Trân Công Châu.
Les protecteurs d’un savoir-faire unique
Réputé depuis des siècles, le pâté Uoc Lê est indispensable lors des repas copieux des jours du Têt vietnamien. |
Au fil du temps, les pâtés de la maison de Duyên et Châu ont gagné la confiance des clients. Une affaire lucrative qui leur a permis d’accroître la production en investissant dans des machines qui facilitent grandement le travail et permet de gagner un temps précieux. Fini les coups de pilon broyant de la viande qui résonnent. Ce bruit habituel du village de pâté appartient désormais au passé. Mécaniser la procédure de production tout en sauvegardant la saveur originale peut paraître comme une initiative audacieuse. Il n’en est rien, le restaurant devant honorer une foule de commandes provenant non seulement de Hanoï mais d’autres provinces, voire de l’étranger.
Et l’établissement de Trân Công Châu ne se repose pas sur ces lauriers, ses propriétaires s’évertuant à diversifier sa gamme de produits, en réponse à la variété de demande de la clientèle. À côté des pâtés nature ou frits quelques secondes dans l’huile, le menu propose des nem chua (sorte de viande de porc fermentée enveloppée dans une feuille de bananier) - là aussi nature ou frits - que les consommateurs affectionnent. Et pour échapper à tout soupçon sur le plan sanitaire, les procédures de fabrication sont modernisées tout en protégeant le goût typique des gio cha Uoc Lê.
À l’instar de Duyên et Châu, les générations du village d’Uoc Lê s’évertuent à préserver les valeurs du métier légué par leurs ancêtres. Un travail rendu compliqué par l’absence d’une appellation d’origine claire, avec pour conséquence toutes ces pâles imitations qui inondent le marché et nuisent à la réputation de l’original. Il est grand temps d’instaurer des règlementations strictes liées aux indications géographiques non seulement pour le gio cha Uoc Lê mais aussi pour d’autres produits artisanaux vietnamiens, sous peine de voir ce patrimoine dépérir pour de bon.
Hông Anh/CVN