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Un coin de Hanoi by night. |
Au premier abord, Stockholm se présente au visiteur comme une ville flottante, là où les eaux du lac Mâlaren se déversent dans la Baltique. La municipalité principale repose sur 14 îles reliées entre elles par une cinquantaine de ponts. Le quartier baptisé l’Archipel est envahi par une forêt de mâts, de voiles et de yachts.
Pour l’architecte français Christian Pédelahore, Hanoi est aussi une cité aquatique, enserrée de partout par le fleuve Rouge et ses tributaires. Dans sa thèse doctorale sur la capitale vietnamienne(1) soutenue à l’Université de Paris VIII, ce spécialiste des villes asiatiques a souligné en particulier le rôle essentiel joué par les lacs hanoïens culture matérielle et de la culture intangible.
Empreinte de la civilisation du riz
D’après lui, le message de ces pièces d’eau est le suivant :
«Les lacs hanoïens continuent à délivrer, pour ceux qui daignent les écouter, le même message profond : nous sommes l’ossature physique de cette ville, nous sommes son corps en négatif, nous sommes les portes par où l’on accède à ses symboles, nous sommes le miroir de cet esprit de Hanoi, le fondement souterrain d’une urbanité ressentie et palpable par tous, habitants comme visiteurs, le moteur anesthésié mais toujours vivant d’une refondation spatiale et sociale peut-être demain à nouveau possible».
Pédelahore commence par situer le «territoire hanoïen au centre du berceau» de la nation vietnamienne, le delta du fleuve Rouge qui n’était qu’une vaste baie au néolithique. Le mythe des ancêtres du peuple Viêt, le seigneur Dragon et la fée de la montagne avec cinquante de leurs enfants descendant vers la mer et les cinquante autres s’établissant sur les hauteurs, symbolise la conquête de la riche plaine alluviale à partir du piémont. «Les noces de la terre et des eaux», ont façonné cette dernière pour y faire fleurir la civilisation du riz.
«L’eau apparaît donc, paradoxalement, comme le premier matériau constitutif de cette ville, la marquant et la modelant en permanence, dans l’ensemble de ses formes, matérielles et symboliques, tout comme dans ses usages. Conducteur de l’eau par d’extensifs travaux hydrauliques, façonneur de la glèbe par la riziculture, c’est l’homme qui vient, par ses travaux, équilibrer et résoudre l’antique conflit. Le site de Hanoi, lieu de synthèse des éléments liquide et solide, est aussi lieu d’un modelage tectonique, construction territoriale, avant que d’être architecturalement bâtie».
Depuis des milliers d’années, le paysan vietnamien n’a cessé d’ériger et d’entretenir un complexe réseau de digues et de canaux, maniant d’une main l’écope et de l’autre malaxant l’argile, cherchant à partager et à domestiquer les eaux. Le site de Hanoi est également lagunaire, formé d’une myriade de points bas générant d’innombrables lacs et étangs, qui viendront à constituer par inclusion, au cours de l’expansion spatiale de la ville, l’armature secrète, les éléments organisateurs, horizontaux et miroitants, de la ville future et de l’identité de ses quartiers.
Le lac de Hoàn Kiêm ou lac de l’Épée restituée. |
Agglomération resserrée de villages
Pédelahore n’a pas manqué de rendre hommage à la magistrale étude du géographe Pierre Gourou sur les paysans du delta tonkinois (1936) qui montre l’extraordinaire et dense structure du réseau des villages qui fait du delta du fleuve Rouge un corps organique. À la lumière de cette analyse liminaire, on peut faire cette constatation que toutes les villes du Nord du Vietnam sont le prolongement densifié et continué du territoire rural.
«Ainsi, par delà la lecture occidentale de rupture entre villes et campagnes, se fait jour ici une première identité profonde. Se dégage, ce faisant, un principe générateur de l’espace urbain du delta, procédant par agglomération resserrée de villages».
Revenons aux lacs de Hanoi. D’après Pédelahore, «ils font partie des matériaux bruts, fondateurs, de la ville. Ils portent une individualité physique et matérielle au même titre que les autres matériaux : colonnes ligneuses, moellons de pierre. De plus, cette matière aquatique, labile, est le complément permanent et irremplaçable de la terre argileuse, dont l’union intime produit - avec le recours au feu de la cuisson - les matériaux de base de la construction traditionnelle : briques, tuiles, dalles de sol».
Huu Ngoc/CVN
Note : (1) L’angle de la ville de Hanoi 1873-2006. Interactions architeturales et fabrique urbaine, formes et acteurs.