Le Lycée des Pamplemousses

Au temps de la colonisation française, j’ai enseigné au Lycée des Pamplemousses (Truong Buoi) de Hanoï. Il portait le nom officiel de Lycée du Protectorat, mais personne n’en faisait usage.

>>Ce que dit le village des Pamplemousses

Le Lycée des Pamplemousses d’antan…
Photo: Le Tonkin/CVN

L’école était située dans le territoire de l’ancien village de Ke Buoi (pamplemousse), baptisé par les Français "Village du papier" à cause de ses ateliers familiaux de fabrication de papier traditionnel. D’autre part, le mot "protectorat" (Bao hô) piquait au vif parce que l’administration coloniale avait divisé ma colonie vietnamienne en trois parties, le Nord et le Centre appelés “protectorat” par euphémisme.

À une époque où 95% de la population vietnamienne étaient analphabète, le Lycée des Pamplemousses faisait presque figure de grande école, jouissant d’un prestige beaucoup plus grand que ses homologues Henri IV ou Louis-le-Grand dans la métropole. Son histoire illustre à merveille deux phénomènes socioculturels enchevêtrés: la colonisation et l’acculturation, ainsi que le rôle des individus pris dans cet engrenage.

Enseignement franco-indigène

La conquête terminée en 1884, les Français poursuivirent leurs opération de pacification jusqu’à la fin du XIXe siècle. Afin d’asseoir solidement leur domination, ils cherchèrent à créer un "enseignement franco-indigène" permettant de légitimer le colonialisme, de calmer la soif d’études des Vietnamiens, de détourner les esprits de l’attrait millénaire de la culture chinoise et du mouvement patriotique, et de former des cadres pour l’appareil administratif.

L’Université indochinoise, rachitique, avait pour but avoué de canaliser les élites vers les fonctions assignées par la colonisation. Une note du ministère des Colonies (1919) précisait: "Ce sont précisément les natifs instruits dans nos méthodes et nos idées qui sont les ennemis les plus dangereux de notre autorité et les partisans les plus résolus d’un home-rule, où nous n’aurions plus aucune place… Il convient de ne pas ouvrir trop largement le domaine des idées spéculatives, mais de favoriser au contraire l’acquisition des connaissances les plus essentielles".

… et d’aujourd’hui.
Photo: CTV/CVN

Cet état d’esprit nous aide à comprendre la création et le fonctionnement du collège des Pamplemousses: fondé en 1908, le collège du Protectorat, installé dans les locaux d’une ancienne imprimerie de Schneider, avait d’abord ouvert des classes pour un enseignement primaire supérieur de quatre ans. Avec l’adjonction en 1924 d’un enseignement de trois ans pour le "baccalauréat local", il est devenu en 1931 un lycée qui adopta les normes du bac de Paris.

L’ancien système d’éducation basé sur les caractères chinois et les classiques confucéens était liquidé. On employait le français, le vietnamien figurait comme langue étrangère. Les programmes étaient axés surtout sur les connaissances scientifiques usuelles.

Les élèves du Lycée des Pamplemousses

Dans le cadre de la colonisation, l’acculturation entrait en jeu, déjouant parfois les calculs colonialistes, tirée vers le sens de la réaction ou du progrès selon l’orientation des protagonistes, colonisateurs et colonisés. Indépendamment de la volonté de ses créateurs, le lycée des Pamplemousses ne s’était pas réduit au simple rôle d’outil de fabrication de fonctionnaires serviles.

Nombre d’élèves participaient, parfois clandestinement, à la lutte contre l’analphabétisme, prélude au combat de libération nationale. Un groupe de professeurs dont Hoàng Xuân Han a créé une terminologie scientifique qui devait servir de base à un enseignement secondaire et supérieur en vietnamien.

Contre la contenance un tantinet hautaine du lycée Albert-Sarraut réservé aux Français et fils de mandarins, les élèves du Lycée des Pamplemousses manifestaient publiquement plus d’une fois leur profond attachement aux valeurs vietnamiennes. Certains d’entre nous refusaient de singer l’accent français en parlant le français, et d’employer le français hors de la classe. Ce qui ne nous empêchait pas de nous enivrer des autres Français, de Corneille à Gide, et d’imprimer à notre écriture vietnamienne la clarté et la précision du style français.

Les Français toléraient l’enseignement de l’histoire du Vietnam dans les classes primaires supérieures, mettant l’accent sur les invasions chinoises sans doute pour faire ressortir leur rôle de protecteurs. Mauvais calcul, parce que les leçons sur la lutte contre l’agression chinoise impliquaient la lutte contre l’agression étrangère en général.

L’histoire de France (programme de Paris) dispensée dans les classes secondaires, en particulier la Révolution de 1789 avec des idées de liberté et d’égalité, ne contribuait pas moins à entretenir la flamme du patriotisme. Point n’est étonnant que la crème des anciens enseignants et élèves du lycée des Pamplemousses ait participé à la Révolution de 1945. Nous ne parlons pas des grèves patriotiques avant cette date. La majorité des professeurs vietnamiens, bien que ne faisant pas la politique, se montraient très dignes et aimaient leur pays du fond de leur cœur. Si quelques professeurs français affichaient un certain racisme colonial, la plupart faisait preuve de réelle démocratie, tels Pierre Foulon (philosophie), Lucas (histoire), Lohéné (anglais).


Huu Ngoc/CVN
(Août 2001)

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