>>Le kapokier, la beauté culturelle de la campagne du Nord Vietnam
>>La floraison des kapokiers sous l’objectif photo
Le kapokier est souvent planté dans la campagne au Nord du pays. |
Photo: Minh Duc/VNA/CVN |
Chaque année, vers la fin du printemps, quand commencent les premières chaleurs d’avril, les grandes fleurs rouge vif du kapokier (bombax ceiba) se détachent sur le fond azuré du ciel. Le fruit est une capsule dont l’endocarpe pourvu de poils semblables aux fibres de coton peut servir au bourrage des matelas et des oreillers.
Dans les villages traditionnels du Nord, la maison commune, le banian et le kapokier sont des traits familiers du paysage. Selon une hypothèse controversée, le mot Saigon (Sài + Gòn), qui désigne la capitale du Sud, serait la déformation phonétique de cây gòn ou la transcription phonétique sino-vietnamienne Sài + Gòn signifiant "bois de kapokier". Saigon n’avait-elle pas une digue plantée de kapokiers! En tout cas, l’étymologie de Saigon reste encore peu claire.
L’histoire du kapokier
Personnellement, ce qui m’intrigue, c’est le dicton "Thân cây da, ma cây gao" (Le banian est le séjour des génies bienfaisants et le kapokier celui des fantômes malfaisants) qui m’avait fait frissonner chaque fois, tout petit, quand je devais passer le soir devant le kapokier. Peut-être que l’histoire du kapokier dans le Truyên ky man luc (Vaste recueil de merveilleuses légendes) de Nguyễn Dữ (XVIe siècle) pourrait donner une réponse. Voici en résumé le récit...
Une fleur du kapokier. |
Photo: CTV/CVN |
Un jeune et riche marchand du nom de Trinh Trung Ngô fait du commerce itinérant en sampan. Débarquant souvent au pont de Liêu Khê, il rencontre plus d’une fois dans les parages une jeune inconnue dont il tombe amoureux. Un jour, tandis qu’il la croise sur la route, il l’entend dire à sa servante:
- Depuis six mois, je ne suis pas venue au pont Liêu Khê. Nous y viendrons cette nuit.
Dès la tombée du jour, le jeune homme s’y rend pour attendre dans un coin caché. Tard dans la nuit, les deux femmes viennent à leur tour. La maîtresse, tenant à la main une cithare, s’assied contre le parapet et joue quelques airs mélancoliques. Elle s’arrête, soupire en disant:
- Hélas! Que n’ai-je une âme amie qui me comprenne!
Ngô s’avance, s’incline et l’aborde:
- Je suis cette âme que vous cherchez.
La conversation est engagée. Il apprend qu’elle s’appelle Nhi Khanh et qu’abandonnée par son mari, elle vit seule à la lisière du village, assoiffée d’amour. Ils descendent dans un sampan. Ils s’enlacent et s’enivrent de caresses. Elle compose deux poèmes pour chanter ce moment de délices.
À la pointe du jour, elle prend congé de l’amant pour rentrer chez elle. Elle revient chaque nuit, durant tout un mois.
Au courant de cette liaison douteuse, les amis de Ngô le mettent en garde contre des dangers possibles en terre étrangère. Il demande à l’aimée de lui faire connaître sa demeure. Elle louvoie et, cédant à son insistance, lui répond:
- Ma maison, à deux pas d’ici, est très laide.
Il la force à l’y amener. C’est ainsi qu’un jour, vers minuit, elle le conduit au hameau de Dông Thon. Sa maison, une petite cabane délabrée et couverte de plantes grimpantes, se trouve près des roseaux. Tandis qu’elle va chercher du feu, Ngô se courbe pour se glisser sous le toit de chaume.
"Cercueil de Nhi Khanh"
De temps en temps, le vent apporte des effluves nauséabondes. Tout à coup, l’intérieur s’éclaire, et Ngô voit un petit lit sur lequel est placé un cercueil peint en rouge avec une bande de soie portant les idéogrammes couleur d’argent: "Cercueil de Nhi Khanh". À côté, veille une statuette de femme en argile tenant une cithare.
Kapokier fleurissant. |
Photo: VNA/CVN |
Pris de panique, l’homme se précipite au dehors pour prendre la fuite. La femme lui barre le chemin, disant:
- N’avons-nous pas fait le vœu de mourir d’amour ensemble? Ne me laisse pas seule ici!
Elle s’agrippe à Ngô qui heureusement arrive à se détacher. Il court jusqu’au pont de Liêu Khê avant de reprendre souffle. Il apprend par la suite qu’à Dông Thon, une fille du nom de Nhi Khê, âgée de 20 ans, est morte il y a six mois. Son cercueil est placé provisoirement à la lisière du village.
À partir de ce jour, Ngô tombe malade, hanté par l’ombre de Nhi Khanh. Alité, il tente de se lever pour rejoindre la cabane. On doit l’attacher au sampan. Une nuit, il disparaît. On le trouve mort, embrassant le cercueil. On le met en bière et enterre les deux cercueils sur place.
Le couple de fantômes court chaque nuit dans les rizières en chantant et en pleurant. Il cause beaucoup de malheurs aux villageois qui ont fini par jeter leurs ossements dans la rivière.
Les fantômes, nichés dans le kapokier séculaire de la pagode toute proche, continuent leurs tours abominables. La nuit, ils s’adonnent à des ébats, tous nus au clair de lune, semant la dépravation dans le village. On essaie en vain d’abattre l’arbre avec des coutelas et des haches. Enfin, un prêtre taoïste célèbre une cérémonie d’exorcisation en règle. Dans une bourrasque, tandis que l’arbre maudit s’écroule à grands fracas, les fantômes lubriques sont emmenés vers l’enfer.
Cette histoire est-elle à l’origine du dicton: "Le kapokier est le séjour des fantômes malfaisants"? Ou c’est la superstition populaire qui a inspiré le conte?