Un défilé de mode du styliste Christian Dior à Moscou. Photo : AFP/VNA/CVN |
Il faudra attendre quelques mois pour l’anniversaire officiel des «Grands magasins d’État» de Moscou, dont les trois «passages» aux murs couleur crème, alignés sous des verrières de 16.000 mètres carrés, ont été inaugurés le 2 décembre 1893 face au Kremlin.
Dès début juillet, les festivités ont été lancées par un défilé Christian Dior, dans un pavillon futuriste dressé pour l’occasion sur la Place Rouge, à côté du mausolée de Lénine.
La maison de haute couture parisienne connaît bien les lieux, où elle avait photographié en 1959 ses mannequins en robes longues et larges chapeaux avec en fond les visiteurs curieux de la galerie marchande.
Entre temps, les austères devantures des boutiques d’État soviétiques ont été remplacées par Burberry, Calvin Klein ou Gucci et les murailles rouges du Kremlin se reflètent dans les vitrines d’une boutique Louis Vuitton.
«Nos principaux partenaires, ce sont les marques de luxe», reconnaît Timour Gougouberidzé, directeur de l’établissement. «Mais le Goum a été reconstruit à l’époque soviétique et nous essayons de ne pas oublier cette période».
Symbole de cette volonté : la réouverture en 2008 de l’épicerie fine «Gastronome N°1». La boutique, ouverte 24h/24, propose charcuterie italienne, fromages et champagnes français, vodka et caviar. Mais on y trouve aussi les produits qui faisaient sa popularité sous l’URSS : limonade parfum poire vendue au gobelet, sève de bouleau en bocaux de trois litres, glace en cornet...
«La direction actuelle joue sur la nostalgie de la période soviétique», constate l’historien Denis Romodine.
Quinze millions de visiteurs chaque année
La recette fonctionne : le Goum attire aujourd’hui chaque année environ 15 millions de visiteurs dans les plus de 400 magasins, cafés, cinéma répartis sur ses trois niveaux. Sans dévoiler de chiffres, Bosco di Ciliegi, la société russe à laquelle l’État a confié les lieux par un bail courant jusqu’en 2042, assure que la galerie est une entreprise très rentable.
Au delà de l’aspect commercial, «le Goum a toujours reflété l’histoire de la Russie, des progrès techniques de la fin du XIXe siècle aux transformations de ces 20 dernières années», souligne Denis Romodine.
Une vue du Goum à la Place Rouge, le plus célèbre centre commercial de Russie. Photo : AFP/VNA/CVN |
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À son ouverture en 1893, la galerie marchande, conçue par l’architecte Alexandre Pomerantsev sur le modèle des passages parisiens ou de la Galleria Vittorio Emanuele II de Milan, est sans équivalent dans la Russie tsariste, et même, par son ampleur, en Europe.
Mais vient la révolution de 1917 : après avoir gagné sa réputation pour ses boutiques de soie, parfums et mets délicats, le bâtiment est fermé et occupé par des administrations voire des logements destinés aux fonctionnaires. À plusieurs reprises, le gouvernement décide de le détruire, mais renonce.
Il faut attendre la mort du dictateur soviétique en mars 1953 pour que soit décidé sa réhabilitation. En un temps record, le Goum est réaménagé et rouvre ses portes le 24 décembre 1953.
La veille, Lavrenti Beria, chef sanguinaire des services secrets soviétiques, qui disposait de bureaux dans les lieux, a été fusillé, marquant le début de la déstalinisation orchestrée par Nikita Khrouchtchev.
Le Goum retrouve alors son lustre, devenant un lieu de promenade populaire apprécié des Moscovites mais aussi d’achats, au prix de plusieurs heures de queue, de produits difficiles à trouver dans la capitale de l’Union soviétique : cosmétiques occidentaux, chaussures de Yougoslavie, lingerie d’Allemagne de l’Est, thé indien...
Elena Titova, vendeuse à l’épicerie du Goum, se souvient qu’à la fin de la période soviétique, on y faisait la queue pour du saucisson ou des bananes.
«On trouvait ici ce qu’on ne trouvait pas dans les autres magasins, mais aussi des produits dont on ne connaissait même pas le nom dans le reste de l’URSS», raconte-t-elle.
À la chute de l’URSS, on y fait à nouveau la queue, mais cette fois pour l’ouverture des premières boutiques occidentales, comme Yves Rocher ou les Galeries Lafayette. Elles ont été depuis délogées par des marques plus prestigieuses.
AFP/VNA/CVN