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L’áo dài est porté par les Vietnamiennes de tous âges et de toutes catégories sociales. |
Photo: CTV/CVN |
Après les mots vietnamiens nem (pâté impérial ou rouleau de printemps), nuoc mam (sauce de poisson), pho (soupe hanoïenne), Viêt Minh (Front de l’indépendance du Vietnam)…, voilà qu’áo dài a droit de cité dans un dictionnaire occidental. Le Dictionnaire universel fran-cophone le définit ainsi: "Longue tunique traditionnelle fendue sur le côté, ajustée, à manches longues et au col montant, portée par les femmes sur un pantalon".
Gracieux, élégant, séduisant…, les journalistes et les écrivains étrangers ne tarissent pas d’éloges sur la beauté de l’áo dài, surtout depuis la guerre américaine qui a attiré l’attention mondiale sur le Vietnam et son mode de vie.
Mais si charmant soit-il, ce vêtement ne convient qu’aux Vietnamiennes au corps gracile. Les étrangères au physique plus développé l’aiment, mais ne le portent pas volontiers. Edith Shillue, Américaine venue enseigner l’anglais au Vietnam, se plaint: "Emmie Clare jouissait d’une grande popularité parmi ses étudiants. Quand nous nous sommes rencontrées, elle venait d’achever une escarmouche de trois mois au sujet de l’+áo dài+ que la direction de l’école obligeait les enseignantes à porter en classe. Nous considérions toutes que c’était une victoire car l’+áo dài+ avait été la transformation d’une tunique traditionnelle, un vêtement inconfortable, gênant, un fardeau serrant le corps".
Évolution de l’áo dài
Tout le monde s’accorde pour reconnaître que l’áo dài est né dans les années 1930, au temps de la colonisation française. Mais la question de son origine fait l’objet d’une vive controverse: où le premier áo dài a-t-il fait son apparition, dans le Nord ou le Sud du pays? Qui fut son concepteur?
L’áo dài de mariage est incontournable dans les photos des futurs mariés. |
Photo: CTV/CVN |
D’aucuns pensent que son berceau devait être le Sud (Cochinchine) occupé par les Français dès 1862. Plusieurs articles de presse de Saigon (ancien nom de Hô Chi Minh-Ville avant la réunification du pays en 1975) des années 1930 en témoignent. Quelqu’un a même invoqué un document de Paris datant de 1921 pour affirmer que l’áo dài avait vu le jour à cette date en France. L’opinion générale penche plutôt pour la conclusion selon laquelle le peintre Cát Tuong, formé par l’École supérieure des beaux-arts de l’Indochine (française), aurait été l’inventeur de l’áo dài, baptisé souvent "tunique Lemur" (Lemur est son pseudonyme, Tuong signifiant mur).
L’áo dài était une nouvelle version de la tunique traditionnelle à cinq pièces (nam thân) ou quatre pièces (tu thân). L’innovation allait de pair avec d’autres chez la femme en ville au cours des années 1820 et 1830: les "dents blanches", c’est-à-dire naturelles, à la place des dents laquées en noir, le port du pantalon (d’abord noir, puis blanc) au lieu de la jupe qui devait perdurer à la campagne.
Ces réformes s’inscrivaient dans le cadre de la modernisation des mœurs dans la société féodale et coloniale du Vietnam du début du XXe siècle. La modernisation était alors essentiellement l’occidentalisation.
Pendant 2.000 ans, le Vietnam avait subi l’influence du confucianisme. La culture traditionnelle était fortement marquée par le sens de la communauté. La femme était considérée comme un simple outil de procréation, en vue d’assurer le culte des ancêtres et la perpétuité de la lignée familiale, les parents décidaient du mariage des enfants. Comme il n’existait pas de liberté de choisir son conjoint, le souci des vêtements et des parures préoccupait les filles moins qu’en Occident, surtout après le mariage. Une fille de bonnes mœurs se devait de porter des vêtements qui cachent les rondeurs de son corps. Il y en avait qui comprimaient leur poitrine avec des bandes d’étoffe. Le mot vú (sein) faisait rougir les lettrés bien-pensants.
L’áo dài moderne fait fi de tous ces tabous vestimentaires. Moulé au corps, il fait ressortir les courbes gracieuses et séduisantes de la femme, y compris les seins soutenus par un soutien-gorge au lieu de l’ancien cache-seins.
La mode, lancée d’abord par des épouses vietnamiennes de Français, fut peu après adoptée par des institutrices, des infirmières, des étudiantes qui, comme elles, portaient le pantalon blanc et refusaient de laquer leurs dents en noir. Les filles de bonne famille finirent par les imiter.
L’année 1934 marque le triomphe de l’áo dài en ville. Cet événement consacre la prise de conscience de la femme vietnamienne. Il dit son aspiration à la liberté individuelle, son intention de participer aux activités sociales, de cultiver le corps autant que l’esprit. Brèche ouverte dans la muraille du confucianisme, l’áo dài est le fruit d’une acculturation réussie entre la tradition et la modernité, entre l’Orient et l’Occident.
(Avril 1999)