La remise des prisonniers de guerre, il y a 60 ans

La guerre franco-vietnamienne a pris fin avec la signature des Accords de Genève en juillet 1954. Ces derniers stipulent parmi ses clauses la remise réciproque des prisonniers de guerre des deux belligérants. Huu Ngoc(*) nous raconte la remise des prisonniers de guerre à la partie française.

«La paix m’assaille de tous côtés», me dit en souriant de toute la blancheur de ses dents brillantes un Australien au teint bronzé. Les camions démarrent doucement, accompagnés par des bouffées du «Chant de la paix» qu’exécute un petit groupe culturel de l’Armée populaire, debout devant le portique du Foyer d’accueil des prisonniers de guerre de Thanh Hoa.
La paix, c’est la colombe peinte sur fond bleu qui prend son vol derrière les filaos du Foyer, c’est le mouchoir brodé de carmin donné par l’Union provinciale des femmes vietnamiennes et qui déborde ostensiblement de la poche, mettant une note blanche sur le costume vert des prisonniers de guerre, ce sont les vivats qui fusent des buissons et des chaumières, des bambous et des sampans, des rizières et des sentiers, ce sont les innombrables banderoles : «Vive le rapatriement du Corps expéditionnaire !» qui fleurissent le long de la route…

Remise des prisonniers français le 14 juillet en 1954 à Sâm Son (ville portuaire de Hai Phong, Nord).


Les voitures stoppent devant le fleuve. Roulements de tambours de pionniers, chaudes poignées de main des paysans, des marchands, des pêcheurs, des gardiens de buffle, sur le quai Ben-coc. Tandis que les canots filent dans les premières grisailles du crépuscule, se poursuit le duel des «Hourra» et des «Hoà binh muôn nam !» (Vive la paix !) entre les 200 Africains et Européens et les foules anonymes sur les berges, sous les ponts et sur les radeaux de bambou.
Comment on remet les prisonniers ?
C’est dans cette atmosphère que le peuple vietnamien a rendu les prisonniers de guerre. La cordialité du peuple vietnamien pour les prisonniers de guerre n’était nullement commandée par les circonstances ; elle était dictée par une politique hautement humaine. Pendant la Résistance, le Président Hô Chi Minh avait écrit aux prisonniers : «Nous haïssons les colonialistes, nous leur vouons une haine sacrée et farouche. Mais cette haine n’est pas pour vous, victimes de la politique colonialiste criminelle qui signifie pour vous la servitude, la misère, la mort… Car nous savons distinguer entre les valets des impérialistes fauteurs de guerre et vous, fils des braves travailleurs de France et des autres pays».
Ces paroles constituent la base de la politique de clémence que les capitaines Lucien Maury, Jean Daniel et Jean Vollaire, interprètent comme suit : «Le Président Hô Chi Minh a conçu à notre égard une politique constructive différente de celle qu’appliquent les pays capitalistes vis-à-vis des ennemis vaincus tombés entre leurs mains.
À ses yeux, la captivité ne doit pas être un châtiment, mais une occasion pour les prisonniers de guerre de se racheter et de se métamorphoser en partisans de la paix. Ce point de vue repose sur une clairvoyance et une sagesse exceptionnelles nées d’une pensée démocratique sans cesse en éveil… Nous sommes les fils du peuple… Tous les peuples sont frères, car ils ont des ennemis et des intérêts communs. Ces intérêts communs résident dans la paix universelle où s’épanouit le bonheur par une juste rétribution du travail de chacun. Ces ennemis communs sont les exploiteurs du peuple qui vivent de sa sueur et de son sang, l’exploitation échafaudant des fortunes colossales sur l’exploitation économique et sur le massacre
».

Pendant la Résistance, Hô Chi Minh avait écrit aux prisonniers : "Nous haïssons les colonialistes, nous leur vouons une haine sacrée et farouche. Mais cette haine n’est pas pour vous, victimes de la politique colonialiste criminelle".
Photo : Archives/VNA/CVN


La remise des prisonniers de guerre prévue par Genève a ainsi permis au peuple vietnamien de couronner d’une façon éclatante la politique de clémence qu’il avait toujours suivie. Il a remis à la partie adverse, suivant les engagements pris à Genève.
Ils n’avaient rien à se plaindre La totalité des prisonniers de guerre qui étaient au nombre de 13.414, dont 1 général, 3 colonels, 12 lieutenants-colonels, 38 commandants, 530 officiers subalternes… Pas un seul prisonnier de guerre ne s’est plaint du traitement qui lui était réservé. Répondant au journaliste J. de Castellane, le général de Castries, le vaincu de Diên Biên Phu, exprima son opinion qui était celle de tous les prisonniers : «Pendant ma captivité, je n’avais rien à me plaindre».
La politique de clémence à l’égard des prisonniers de guerre européens et africains a abouti à une pratique, je pense, sans précédent dans l’histoire des guerres : la remise en pleine guerre à son adversaire des groupes de plusieurs dizaines de présonniers de guerre en pleine santé. Pendant la guerre de Corée, les Chinois et les Coréens ont parfois remis aux Américains des prisonniers de guerre, mais des prisonniers de guerre malades, et au compte-goutte.
Remettre comme les Vietnamiens le faisaient, des convois de prisonniers de guerre européens et africains en pleine forme aux Français, c’était jouer avec le feu, le Corps expéditionnaire français manquait d’effectif et surtout de cadres européens. Les prisonniers de guerre relâchés pouvaient constituer à la formation de nouvelles unités combattantes qui faucheraient nos propres soldats. Mais nos services de renseignement ont trouvé qu’aucun prisonnier de guerre libéré n’avait tourné le fusil contre nous. C’est que nous n’avons libéré que des prisonniers de guerre gagnés à notre cause, et ils étaient nombreux. Avec sa politique de clémence, Hô Chi Minh avait gagné le pari, parce qu’il avait confiance en l’homme.

Huu Ngoc/CVN

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