Nguyên Hang fait de brillantes études. Reçu licencié Huong công, il refuse de se présenter au Concours royal de doctorat pour ne pas servir la dynastie illégitime des Mac. Pour garder son intégrité, il se réfugie dans la province de Tuyên Quang (Nord). Dans son fameux phú (morceau de prose rythmée) dont des extraits donnés ci-dessous, le lettré chante la paix dans la retraite et exprime une pensée plus proche du détachement faible que de l’engagement confucéen.
Tinh cu ninh thê phú (La paix dans la retraite)
Combien agréable est la campagne solitaire !
Combien agréable est la campagne solitaire !
On peut y agir selon son seul désir,
Errer librement à sa volonté.
Elle comble l’amoureux des paysages de brumes et de nuages,
Elle attire celui qui aime à vivre parmi sources et rochers.
Rien qu’un lopin de terre sous un lambeau de ciel, paysages modestes et limités, mais formant tout un monde à part,
Rien qu’un coin isolé, parmi champs de montagnes et jardins, de coteaux, et autant de plaisirs variant avec les saisons.
Sans nul souci, je m’habitue à la vie retirée,
Loin des poussières d’un monde dont les bruits s’éteignent au lointain.
C’est pourquoi :
J’entretiens mon indolence, j’abrite ma sottise.
Dans ma hutte en branchages, je ne me soucie guère d’imiter Tôn (1).
Vivant au cœur de la campagne, je n’ai pas à rechercher Tich (2)
Contre le soleil et la pluie, le chaume délabré sert de toit au logis,
Une maison branlante, aux cloisons de roseaux, et tout juste la place pour se tenir debout, et aussi pour s’asseoir.
Le paysage à la campagne, une des sources d’inspiration pour Nguyên Hang. |
Les clôtures en sont très basses, pour mieux voir les montagnes, dressées comme un paravent à la fenêtre du matin
La nuit, les stores défaits laissent entrer la lune qui me tient lieu de lampe.
Trois rejetons de chrysanthèmes fleurissent en retard près de la balustrade : voilà mes visiteurs toujours pleins de loisirs,
Mes amis de vieillesse sont quelques vieux abricotiers serrés contre les murs.
La vertu de l’humanité, comme un vent frais chassant toute poussière, me sert d’éventail,
Pour miroir, la sagesse toujours vivante comme l’eau courante, effaçant les pensées vulgaires.
Une rangée de bambous entre la porte et la cour,
Des feuilles de conyza servent de cloisons.
Le battant de la porte faite de branches mortes s’entrouvre, et l’on entre en s’y faufilant,
Un mur de terre en guise de barrière n’arrive pas jusqu’à l’épaule.
Plus le paysage est réduit, plus l’âme est vaste ; on va, on vient toujours content ; Plus la maison est basse, plus la sagesse est haute, peu importe d’avoir à incliner ou à lever la tête.
Habituellement :
En turban d’une soie grossière et d’un noir douteux,
En pantalon teint au cu nâu (3), de couleur rouge terne.
Un bonnet protège contre brumes et neige, bien qu’il soit de tissu léger comme une aile de chauve-souris
Il suffit que la robe couvre le corps et réchauffe les reins, point n’est besoin qu’elle retombe plus large que la couverture d’un panier.
Quelques pièces de tissu grossier, servant de moustiquaire l’été, de matelas l’hiver, sentant fortement le moisi
Les robes usées de thon (4) se transforment : manches en sacs et pans en serviettes.
Le hamac tressé en bambou imprime au dos des raies sinueuses.
Des pieds aux lourds sabots de bois titubent.
Les repas frugaux
Pour les repas :
Les sauces de prune sont étrangement aigres,
Le sel de cendre de bambou est bien fade.
Le matin, trois tasses de thé parfumé au nénuphar vous rafraîchissent les entrailles, peu importe que la théière soit de terre cuite
À chaque repas, quelques bols de riz de montagne suffisent à chasser la faim, même si le plateau de bambou tressé se défait.
Les bourgeons du mandarinier et les feuilles d’osmonde (5) me servent de primeurs,
Graines de pins et de cyprès fournissent des mets de choix.
Pour festoyer les Immortels, une petite marmite de bouillie de lyciet (6) au goût âcre,
Et en l’honneur des vieux amis, un récipient encore à demi plein d’alcool d’acore (7) d’une saveur cuisante.
Le paysage paisible constitue une source d'inspiration de Nguyên Hang. |
La fumée du tabac sort en volutes de la pipe en bambou à tige de roseau
La chique de bétel est mastiquée longtemps avec l’écorce du banian et la racine de quach.
La vieille au dos voûté presse les pousses de bambous salés et râpe les tubercules
Le balayage de la cour jonchée de feuilles et la cueillette des mûriers incombent à un tout petit gosse.
Dans l’enceinte de la maison :
Aucune trace de chevaux et de voitures, l’herbe verdoie au souffle du printemps
Les amis habituels sont des grues et des singes, à qui les fleurs épanouies souhaitent la bienvenue.
Une guitare, quelques recueils de poèmes et des loisirs au long des mois pour jouer et pour déclamer, plaisirs subtils dignes de Manh Hiêu Nhiên. (8)
À l’extérieur :
Des arbres séculaires étendent leur feuillage touffu, tels des parasols
Et de belles montagnes s’élèvent au lointain comme autant de remparts.
Les cris des singes scandent le chant des merles : mélodie des forêts,
Le murmure du ruisseau accompagne le bruissement des pins comme un concert de guitares et de castagnettes.
Les nuages amoncelés se donnent rendez-vous à l’horizon comme à une foire céleste
Et les torrents dévalent comme des pilons martelant les flancs des montagnes.
Quelquefois :
La main agitant fièrement un éventail en feuille de latanier, une pochette de poésie à la ceinture,
Suivi d’un petit domestique, je m’attarde négligemment aux forêts d’abricotiers sauvages, guettant l’éclosion des fleurs
Montant un âne maigre, je me faufile lentement parmi les bosquets de bambous.
Et pas à pas, je suis des sentiers de nuages, m’arrêtant parfois pour contempler le paysage dans le vent frais.
(À suivre)
Huu Ngoc/CVN
1. Tôn Khang : étudiant pauvre et travailleur, lisant à la lumière de la lune.
2. Nguyên Tich : un solitaire, quelque peu extravagant, aimant l’alcool et les discussions sur la doctrine taoïste.
3. Cu nâu : igname de teintureries
4. Thon : sorte d’étoffe à trame très fine.
5. Osmonde : sorte de plante dont se nourrissaient les deux sages de l’antiquité chinoise Ba Di, Thuc Tê qui refusent le paddy de la dynastie des Tchéou pour manifester leur non-collaboration.
6. Lyciet : Sorte de légume ayant des vertus rafraîchissantes.
7. Acore : plante médicinale que l’on fait tremper dans l’alcool.
8. Poète célèbre des Tang, réfugié dans la montagne de Loc Son.