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Les activités quotidiennes des Ma ont souvent lieu dans et autour de la maison-longue. Photo : ND/CVN |
La maison-longue est une architecture traditionnelle de quelques ethnies minoritaires des hauts plateaux du Centre. Celle des Ma est multifamiliale, avec des espaces faisant fonction d’appartements pour chaque famille. Elle est un miroir de l’organisation sociale, en lien direct avec l’ordre cosmique et social du groupe de par son organisation spatiale, la sexuation de son occupation et la symbolique de son orientation et de sa décoration. Elle constitue à la fois un univers céleste, social, géographique, communautaire et familial.
Dans le village de B’Dang, commune Lôc Bac, district de Bao Lâm, province de Lâm Dông, il n’existe plus qu’une seule maison-longue des Ma. Âgée de 63 ans, Ka Dit, la propriétaire, n’arrive pas à se rappeler quand elle a été construite. Ce dont elle est sûre, c’est qu’elle était déjà là le jour où elle a rejoint sa belle–famille. De nombreuses générations y ont vécu. «Il y avait autrefois environ 60 maisons-longues dans le village, chacune de 50 à 60 m de long, voire 100 m, avec une dizaine de familles de la même lignée», se rappelle Ka Dit. Chaque fois que le foyer accueillait un nouveau couple, la maison était rallongée de deux ou trois mètres.
La maison de Ka Dit fait près de 30 m de long, ce qui est assez modeste par rapport aux bâtisses de plusieurs centaines de mètres que les Français notèrent dans leurs rapports au début du XXe siècle.
«Ma grand-mère a raconté que par le passé, le village comptait des centaines d’habitants qui vivaient dans quelques maisons-longues seulement», confie K’Tu, président du Comité populaire de la commune de Lôc Bac.
Les gongs, jarres de ruou cân (alcool siroté avec des tiges de bambou) et les maisons-longues jouent un rôle très important dans la vie culturelle et spirituelle des Ma, ces éléments étant étroitement liés avec les rites traditionnels. La maison-longue revêt même une dimension sacrée. Et en plus de fournir un abri sûr contre les éléments naturels et les animaux potentiellement dangereux, elle relie aussi les générations. Dans ce genre de bâtisse aux minces cloisons de bambou, il n’y a pas vraiment de frontière physique entre les familles. Bien que la promiscuité soit réelle, peu de conflits éclatent.
Ici, le feu ne s’éteint jamais
Situé au centre de la vallée de B’Dang, la maison-longue de Ka Dit est d’architecture typiquement traditionnelle. Sa toiture, en forme de «carapace de tortue», est couverte de chaume. Le tout est soutenu par de solides colonnes en bois. Le plancher, quant à lui, est en lattes de bambou. Un grenier trône à l’extérieur.
L’un des fils de Mme |
Photo : ND/CVN |
Un espace sacré, nommé «nao», est censé abriter le génie Yang Hiu. Il y a aussi des lieux pour les activités communautaires, des pièces pour les adolescents, les célibataires et les invités tant féminins que masculins, ainsi qu’un espace pour stocker gongs, pots et autres instruments de musique. Au centre de la maison se trouve le mha tom (cuisine commune), lieux de réunion pour les fêtes importantes. Les espaces de vie sont agencés sur la base de la hiérarchie. À l’entrée principale se trouve le propriétaire de la maison, puis son fils aîné, et ainsi de suite.
Chaque famille a son propre foyer qui est entretenu en permanence. Pas question de le laisser s’éteindre, ce serait de mauvais augure. On peut connaître le nombre de familles simplement en les comptant. Selon Ka Dit, «le feu est l’âme de la maison-longue». La plupart des cérémonies et des festivals des Ma commencent d’ailleurs avec le rituel de «demande du feu».
Dans le passé, à la tombée de la nuit, les villageois s’asseyaient autour du feu, puis les anciens déclamaient des vers de khan (épopées) tout en partageant leurs expériences de chasse. Et tous entonnaient des chants folkloriques yal yau et tam pot.
Conflit de générations sous le même toit
Mais le style de vie moderne a gagné ces zones reculées. Les jeunes couples veulent quitter la maison-longue, pour plus d’intimité tout simplement. K’Than, le fils de Ka Dit, juge la vie dans la maison-longue «plutôt incommode», aussi a-t-il décidé de plier bagages. «Si nous ne préservons pas ces anciennes constructions, il n’y en aura bientôt plus aucune dans les hauts plateaux du Centre», prévient le patriarche K ‘Diêp.
Selon le président du Comité populaire de la commune de Lôc Bac, K‘Tu, sa commune compte reconstruire une maison-longue : «Il faut le faire, pour que les générations futures sachent comment leurs ancêtres ont vécu».
Pour préserver ce patrimoine et les belles traditions qui vont avec, le Service de la culture, des sports et du tourisme de la province de Lâm Dông a financé la restauration de certaines maisons-longues dans le village de B’Dang, commune de Lôc Bac. «La localité poursuivra ses aides. Nous irons aussi sur le terrain pour sensibiliser les habitants à l’importance de sauvegarder leur identité culturelle», assure Nguyên Thi Bich Ngoc, directrice adjointe de ce service.
Malgré ces louables efforts, la survie des maisons-longues en tant qu’habitats permanents -et non comme seuls lieux d’histoire et de mémoire- dépendra uniquement du bon vouloir des jeunes générations. Et sur ce point, il semble que la tendance soit plutôt défavorable. Mais il serait bien inconvenant et inapproprié de leur jeter la pierre et leur reprocher de ne plus vouloir vivre comme leurs ancêtres.
Van Bao-Thuy Hà/CVN