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Le bun bo Nam Bô (nouilles de viande de bœuf du Sud). |
Au bord du Pacifique, le Vietnam s’étire sur une longueur de 1.700 km, soit une différence de latitude égale à celle de Bruxelles-Madrid. C’est dire que les différences de climat, de flore et de faune, sans parler des différences historiques et ethniques, soient assez grandes entre les extrémités du pays pour expliquer sa nourriture diversifiée.
Une question se pose : où s’arrête le Nord culinaire et où commence le Sud culinaire ? J’adopterais volontiers la carte linguistique pour y situer les cuisines : le parler de la région du Nord couvre le Bac Bô (Tonkin) jusqu’à la limite du Thanh Hoa, celui du Centre se termine avec Huê et celui du Sud s’étend entre le Col des Nuages et la pointe de Cà Mau avec l’influence dominante du Nam Bô (Cochinchine).
Les caractéristiques du Sud
Le Sud comprend des terres neuves annexées entre les XVe et XVIIe siècles, dotées d’une population hétéroclite de gens des colonies agricoles semi-militaires, de forçats, de paysans sans terre et d’aventuriers venus du Nord, d’émigrés chinois, d’indigènes Cham et Khmers. Moins traditionaliste que le Nord, moins cérémonieux que le Centre, le Sud est plus libre, plus turbulent, plus prêt au laisser-aller. Ce comportement se reflète dans sa manière de manger et ce qu’il mange.
Les expressions nhâu nhet (s’attarder à manger et à boire), lai nhai (faire quelque chose lentement, longuement, se dit aussi du manger et du boire) disent la mentalité de l’homme du Sud qui, prenant la vie à la légère, aime passer de longs moments en compagnie d’amis à muser, bavarder, boire de grandes rasades de choum (alcool de riz) en grignotant de petits plats. Mentionnons en premier lieu le cha gio, appelé au Nord nem, internationalement connu.
Le Dictionnaire universel francophone le définit : «Petite crêpe de riz fourrée et frite. On trempe chaque morceau dans une sauce de nuoc mam vinaigrée et pimentée avant de le manger avec de la salade». Quand j’étais petit, j’entendais toujours appeler ce plat «nem Saigon», ce qui atteste sans doute sa provenance du Sud.
L’origine de la fondue du Sud
Au cours de mes récents voyages au Sud, le plat qu’on m’a servi le plus surtout quand on est nombreux à table est la fondue de fruits de mer (lâu). Un réchaud avec une marmite contenant du bouillon placé au milieu de la table. À côté il y a un plat de lanières de poisson, de seiche, de crevettes (crus), un plat de légumes crus (laitues moutardes, feuilles aromatiques, caramboles, oignons, germes de soja) et un plat de galettes de riz. Les convives font bouillir de la viande, des légumes (sauf la salade) et des vermicelles. Chacun se sert à sa guise. On enroule dans chaque galette différents ingrédients ou prépare sa soupe dans un bol. Les crevettes et les crabes de mer bouillis, décortiqués à la main et trempés dans du sel poivré au citron sont aussi à la mode.
La fondue avec la marmite et le réchaud sur la table est une pratique apportée par les immigrants chinois fuyant les envahisseurs mandchous au XVIIe siècle. Ils venaient de la côte du Sud, en particulier du Guangdong. C’est ainsi qu’avec les Cantonais s’est répandu l’usage de la soupe hu tiêu (nouilles avec porc, crevettes, germes de soja...), du lap xuong (petite saucisse) et l’emploi du sucre comme ingrédient, au grand dam des gourmets puristes du Nord.
Lâu ca kèo, une sorte de fondue aux poissons kèo, très réputée dans le Sud. |
Photo : Archives/CVN |
La consommation d’animaux jugés répugnants - rats, crapauds, insectes, fourmis, chauve-souris, tortues, cobras - est un trait original de la cuisine du Sud. Certains chercheurs attribuent cette excentricité au fait que les migrants pionniers, paysans affamés venus du Nord pour défricher des marécages et débroussailler des forêts de cajeputs, devaient se contenter de tout ce qui leur tombait sous la dent. N’empêche qu’on en fasse aujourd’hui des spécialités régionales. L’influence de la cuisine khmère se manifeste par l’emploi abondant de la noix et du lait de coco, ainsi que des piments.
La cuisine paysanne est savoureuse malgré sa simplicité. La cuisson au feu de bois est la technique favorite. Vers octobre, passé le temps des crues du Mékong, on vide les mares pour attraper à la main les poissons lóc bien dodus. On les entoure de boue argileuse avant de les griller sous un tas de paille, de branches et des feuilles sèches. On mange la chair tiède enveloppée dans des galettes de riz avec une sauce spéciale et des dizaines de salades domestiques et sauvages.
Dans The best of Vietnamese and Thai Cooking, Pham Mai, directrice de la chaîne des restaurants et cafés «Lemon grass» à Sacramento (États-Unis), nous fait goûter nombre de bonnes recettes rurales apprises de sa mère et sa grand-mère. Plats délicieux, simples et nourrissants, mais certainement loin d’être pantagruéliques comme les fameux «bò bay món» (sept plats de bœuf) qui, à Saigon, ont depuis toujours défié la soupe et le beefsteak de la cuisine française ainsi que le poulet cuit avec des herbes médicinales de la cuisine chinoise.
Huu Ngoc/CVN