La civilisation du bambou au Vietnam

Au Vietnam, le bambou n’a cessé de multiplier ses exploits guerriers pour défendre le pays. De nos jours, cette plante fait partie de la trame de notre vie quotidienne.

>>Canard aux pousses de bambou

Les massifs de bambous sont une image très familière pour les Vietnamiens notamment ceux vivant à la campagne.

Il y a une trentaine d’années, je suis allé en Indonésie avec un ami pour participer à un séminaire international. Dans un petit avion de Djakarta à Padang, service aérien intérieur, mon compagnon fut tout surpris de voir dans le tableau décorant la paroi de la cabine une touffe de bambous, un buffle et des rizières. «Je croyais, s’exclama-t-il, que ce sont des motifs essentiellement vietnamiens !»

En vérité, le trio bambou - buffle - riz constitue plutôt l’apanage de tous les paysages du Sud-Est asiatique, région modelée par la culture du riz inondée. Remarquons que dans toute l’Asie et le Pacifique, l’habitat du bambou coïncide avec le domaine du riz.

Exploit du bamboudans une légende

Le bambou (bambusa), graminée des pays chauds, peut atteindre 40 m de hauteur. Il comporte 60 genres et des milliers d’espèces. Il peut vivre une centaine d’années. Il meurt après avoir donné des fruits. La revue japonaise Asian cultures estime que le bambou est le symbole du dynamisme asiatique, et ajoutons qu’il représente plusieurs valeurs culturelles de l’Asie.

Au Vietnam, le mythe du Génie Giong qui remonte à l’aube de notre histoire, chante déjà ses exploits. Il s’agit de l’enfant-géant du village de Giong qui grandit démesurément en quelques semaines pour chasser les envahisseurs étrangers. La légende nous montre le peuple tout entier répondant à l’appel du héros qui sur son cheval de fer, arrache des forêts de bambous pour abattre l’ennemi. Les bambous qui poussent dans la plaine par où est passé le Génie conservent la couleur jaune. Cette couleur proviendrait du feu craché par les naseaux du cheval de fer.

L'enfant-géant du village de Giong a arraché des forêts de bambous pour abattre l’ennemi.

À travers l’histoire, jusqu’à nos jours, ce bambou n’a cessé de multiplier ses exploits guerriers pour défendre le pays. Au XIIIe siècle, nous avons gagné une brillante victoire fluviale sur le Bach Dang, repoussant les hordes mongoles avec nos jonques et nos barques de bois et de bambou.

À la fin du XVIIIe siècle, pour accélérer la marche de ses soldats d’élite sur le Nord, le héros national Nguyên Huê les aurait fait transporter à tour de rôle et par équipes de trois sur des brancards de bambou. Il a ainsi gagné de vitesse l’ennemi et taillé en pièces une armée sino-mandchoue de 200.000 hommes campés dans Hanoi.

Au début de la conquête française, des guérilleros vietnamiens se retranchèrent dans le village de Ba Dinh transformé en forteresse grâce à une haie vive de bambous doublée d’un fossé planté de pieux de bambou. Ils ont tenu tête à deux attaques françaises (1886-1887) commandées par un officier qui devait devenir Maréchal de France.

Même à l’époque contemporaine, le bambou a contribué efficacement à la victoire de la guerre du peuple. On ne peut concevoir Diên Biên Phu sans les bicyclettes équipées de tiges de bambou et les palanches de bambou pour ravitailler le front en vivres et en munitions, hisser sur les pentes abruptes des pièces de canons démontés, ou brancarder les blessés. Pendant la guerre américaine, la plante a rendu d’immenses services à la logistique de notre armée, en particulier sur la piste Hô Chi Minh.

Symbole qui entre dans le poème

Loin d’avoir une vocation guerrière, il est plutôt destiné à l’œuvre de paix, et fait partie de la trame de notre vie quotidienne. Comme aliment, les pousses de bambou (măng en vietnamien) entrent dans la confection de nombreux plats. Comme médicament, les feuilles sont bouillies en fumigation avec d’autres ingrédients quand on est embaumé. L’eau des jeunes pousses traite le coma et apaise la soif due à une fièvre violente. Pour la construction, le bambou mâle sert à fabriquer les pièces de charpente, le bambou femelle sert à tresser des claies et à faire des lamelles et des cordes. Les outils pour l’agriculture (herse, écope, manche de pioche, de pelle) et de pêche (canne, nasse, armature de filet) emploient la plante, de même que le transport (barque, charrettes à buffle, fléau, paniers). Énumérons les meubles et autres objets domestiques : lit, table, chaise, canapé, baguettes, cure-dent, balai, bâton, pipe à eau, van, panneau.

Le bambou se manifeste aussi dans l’art traditionnel : musique (flûte, castagnettes), ornementation (stores, bibelots), jardin d’agrément, et dans les jeux d’enfant (lampes et jouets de la Fête de la mi-automne, toupie, cerf-volant, balançoire, khang ou jeu des deux bâtonnets...). Les religions et les croyances populaires s’en servent en abondance : baguettes d’encens, parasol, objets votifs, mât du Têt.

Élément important de la civilisation matérielle, il est aussi source de richesse pour la vie culturelle. L’enfant s’endort dans le balancement du berceau en bambou, le vieillard dort son dernier sommeil dans un cercueil descendu dans la fosse avec des tiges et des cordes de bambou au rythme des bâtonnets faits du même matériau.

Le bambou fait partie de la capagne paisible.

Dans le delta du fleuve Rouge, berceau de l’ancienne culture Viêt, la structure sociale traditionnelle est marquée par la trinité famille-village-État. Le paysan, après une absence un peu longue, sent son cœur palpiter de joie quand il voit au loin son village ceint de bambous émerger comme un îlot de verdure de l’océan de riz. Il inspire bien des chansons populaires qui parlent d’amour. Il évoque la sveltesse de la jeune fille :

Trúc xinh trúc mọc bờ ao,

Em xinh em đứng bờ nào cũng xinh.

(Le joli bambou-ivoire pousse au bord de la mare

Tu es jolie, ma mie, jolie, tu es là où tu te tiens, n’importe où)

Et voici le flirt qui s’annonce avec la question du jeune homme :

Đêm trăng anh mới hỏi nàng

Tre non đủ lá đan sàng nên chăng ?

(Au clair de lune, je te demande :

Le jeune bambou a assez de feuilles, pourrais-je tresser un van avec ?)

La jeune fille de répondre :

Đan sàng thiếp cũng xin vâng

Tre vừa đủ lá, non chăng hỡi chàng ?

(Tressez le van si vous le voulez

Mais trouvez-vous le bambou jeune avec juste assez de feuilles ?)

Dans une autre chanson, le galant exprime son émerveillement de revoir, après une longue absence, une fillette devenue ravissante demoiselle :

Khi đi trúc chửa mọc măng

Khi về trúc đã cao bằng ngọn tre.

(Quand je suis parti, le bambou-ivoire n’avait pas encore de pousse

À mon retour, il a déjà atteint la cime du gros bambou).

Dans la littérature classique, le bambou est souvent associé à l’abricotier pour évoquer l’amour conjugal, l’union familiale. Il symbolise aussi l’homme supérieur (quân tu) à cause de ses entre-nœuds tout droits ; le vide de ces derniers représente cette vacuité de l’âme que recherche l’ascèse bouddhiste et taoïste. Point n’est étonnant qu’il soit un motif favori de la peinture asiatique.

Un ancien proverbe dit : Tre già măng mọc (Quand la bambou vieillit, la jeune pousse croît). Il exprime la confiance en la jeune relève. Non le fossé, mais le pont entre les générations.


Huu Ngoc/CVN

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