Ses habitants ignorent le plus souvent que leur village, un collier de hameaux dans l’État du Meghalaya, figure au livre Guinness des records au chapitre des plus importantes précipitations annuelles avec 11.873 millimètres. Soit plus de dix centimètres d’eau par jour pendant trois mois...
Une vue du village de Mawsynram (Nord-Est de l’Inde). Photo : AFP/VNA/CVN |
«Vraiment ? C’est l’endroit le plus pluvieux au monde ? Je ne le savais pas», assure Bini Kynter, une arrière-grand-mère estimant son âge à «près de 100 ans». «La pluie m’effrayait quand j’étais une petite fille, elle faisait de notre vie un enfer. Aujourd’hui c’est plus facile», raconte-t-elle en ajustant sur ses épaules un châle au motif écossais vert.
Les météorologues explique l’exposition de Mawsynram à la pluie à sa proximité avec le golfe du Bengale. «Dès qu’un front humide se forme dans le golfe du Bengale, il entraîne une longue et intense mousson sur Mawsynram», explique Sunit Das, de l’Agence météo indienne.
Voici un siècle, Mawsynram ne possédait ni routes pavées, ni eau courante, ni électricité, et les six mois de mousson condamnaient ses habitants pauvres à l’ermitage.
Il se produit encore régulièrement des glissements de terrain qui bloquent l’unique route goudronnée reliant entre eux les hameaux accrochés au relief. Les eaux de pluie continuent d’envahir les maisons en torchis et les coupures d’électricité sont courantes.
Du gris à l’âme
Chaque hiver, Mawsynram se prépare à une longue nuit argentée. Entre mai et juillet, il peut pleuvoir jour et nuit des semaines durant sans discontinuer.
Les habitants passent des mois à réparer leurs toits, couper du bois de chauffage et de cuisine, stocker des céréales en prévision du déluge. Les femmes confectionnent une sorte de parapluie appelé «knup». Il a l’apparence d’une carapace de tortue et se compose de feuilles de bambou, de morceaux de plastique et d’épis de genêt.
Il faut compter au moins une heure pour fabriquer un «knup» et cette activité occupe les femmes du village jusqu’à la fin de la saison.
Prelian Pdah, une grand-mère de 70 ans, tue l’ennui en tressant des paniers en bambou, des balais et des «knups» que des hommes d’affaires achètent en gros pour les revendre dans l’État. «Je n’aime pas les fortes pluies. Je me morfonds enfermée toute la journée, c’est pénible», dit-elle.
Comme elle, beaucoup d’habitants admettent que la pluie leur met du gris à l’âme. «Il n’y a pas de soleil, et si vous n’avez pas l’électricité, il fait très sombre dans les maisons, même pendant la journée», constate Moonstar Marbaniang, le chef du village.
Les habitants qui en ont les moyens quittent la montagne pendant quelques mois. Les autres dorment plus longtemps, plaisante Moonstar Marbaniang dont le prénom - qui signifie littéralement «étoile de Lune» en anglais- témoigne de l’empreinte laissée par l’Empire britannique sur cette région de l’Inde cernée par le Bangladesh, le Myanmar et la Chine.
Comme toute géographie est poésie, la capitale du Meghalaya, Shillong, était jadis surnommée «l’Écosse de l’Est» et le nom de l’État signigie «demeure des nuages» en sanskrit. Difficile, pourtant, de réciter des vers pendant la mousson. «Nous devons parler un peu plus fort pour nous entendre et nous faire entendre», tant la pluie laboure le faîte des maisons jusqu’à en déloger le matelas d’herbe, jure Moonstar Marbaniang.
Mawsynram ne célèbre pas les derniers «grains» de la saison. «Nous n’organisons pas de fête pour marquer la fin de la pluie. Nous commençons par étendre notre linge humide au grand air», soupire Moonstar Marbaniang, résigné.
Malgré l’épreuve, les habitants de Mawsynram confient qu’ils ne voudraient vivre nulle part ailleurs. «Je ne partirai jamais, ici c’est chez moi. Je suis né ici et je veux mourir ici», proteste Moonstar Marbaniang, dont les enfants vivent à Shillong, lorsqu’on lui pose la question. «Bien sûr il pleut beaucoup. Mais nous sommes habitués. Nous attendons que ça passe».
AFP/VNA/CVN