Homosexualité : pour le droit à l’indifférence

Si la France célébrait ce 29 mai son premier mariage gay après des mois de débats historiquement houleux, les préjugés persistent avec insistance. Au Vietnam, le tabou est en train de tomber mais la tradition bloque encore de nombreux jeunes qui refusent de s’assumer publiquement.

Dans la morale confucéenne qui est la sienne, le Vietnam est, comme de nombreux pays, attaché à la tradition familiale. L’homosexualité y a longtemps été considérée comme une maladie, comme un état contre-nature qui détruit l’image de la famille.

Des participants à la première gay pride du Vietnam le 5 août 2012 à Hanoi.

«Il y a encore trois ans, dans les médias du pays, on en parlait comme d’un fléau social contagieux. Le sujet est récent. Le tabou se brise progressivement, même si les idées reçues ont la vie dure», indique Lê Quang Binh, directeur de l’Institut de recherches sur la société, l’économie et l’environnement au Vietnam. En la matière, la France n’est pas un exemple, et la loi, loin de calmer les agressions homophobes, a réveillé la haine de certains conservateurs.

Être accepté par la famille

Selon un sondage commandité par l’Institut d’études des sociétés, de l’économie et de l’environnement, 90% des homosexuels viet-namiens disent en effet souffrir de discriminations, 86% cachent encore leurs préférences sexuelles.

Tuân Can a 26 ans et habite à Hanoi. Il travaille dans l’architecture. Il est le seul jeune que nous ayons rencontré à avoir annoncé à ses parents qu’il était gay. «Ils ont accepté, mais on n’en parle jamais. C’est tabou. Quand je commence à aborder le sujet, ils esquivent la question. C’est vraiment dommage. En fait, les parents ne sont pas du tout préparés à ça. Ils sont très peu informés et souvent mal informés, c’est pourquoi ils ont peur, et c’est normal. Ça leur est totalement étranger». Et d’ajouter : «Même lorsqu’ils acceptent, ils sont très préoccupés de l’image qu’ils vont donner auprès de leur entourage. La mère d’un ami à moi était tellement obsédée qu’il a finit par se marier. Mais il n’est pas heureux», souligne t-il. Tuân, lui, réussit à s’assumer. Ses amis connaissent également son orientation sexuelle, et il n’a pas hésité à nous donner son véritable nom.

De son coté, Phong* est agent immobilier dans la capitale. À 36 ans, il n’a toujours rien révélé à sa famille. «Mes parents me demandent sans cesse quand je vais me marier, et je ne réponds rien. Au travail, je fais tout pour le cacher. Par contre, mes amis sont au courant, et ça ne pose aucun problème». Pour Hung*, 37 ans et ingénieur, la situation est des plus atypiques. «Mon copain est néo-zélandais et nous vivons ensemble depuis six ans à Hanoi. Pourtant, mes parents qui vivent dans la même ville ne savent toujours que je suis gay. Ils pensent que je vis seul. C’est assez facile car mon ami part souvent en voyage d’affaires. Au début ça me pesait, mais maintenant j’ai l’habitude. En fait, mon père est un ancien Viêt Công, il a combattu contre l’influence américaine, il est très traditionnel et me met la pression pour que je me marie. Mais je crois que ma mère et ma soeur accepteraient. Mes amis de leur côté sont au courant mais on n’en parle pas».

Il nous a été très difficile de trouver une homosexuelle, la plupart ne voulant pas témoigner, même anonymement. Toutefois, Lan*, 20 ans, résidant à Hô Chi Minh-Ville, nous a accordé quelques minutes. «Dans la capitale économique, c’est clairement plus facile d’assumer une orientation sexuelle différente. On peut se tenir la main, s’embrasser dans la rue, dans les parcs. Ce n’est pas le cas à Hanoi. Mais dans les foyers, c’est plus complexe. Mes parents ne comprendraient pas. Dès que j’aborde le sujet, même indirectement, ils ont des réactions très virulentes. Mon frère est lui aussi gay, et il s’est marié avec une lesbienne pour faire bonne figure et donner des descendants à la famille. Je crois que c’est un peu plus facile pour les hommes car ils peuvent se marier pour sauver les apparences, et continuer à vivre leur homosexualité. C’est un cas fréquent. Pour les femmes c’est plus difficile. Toujours pour des raisons de traditions, elles sortent peu et restent au foyer. C’est pourquoi peu se marient».

Une évolution notable des mentalités

Les associations concernées estiment à 3% le nombre d’homosexuels dans le monde, même si ce chiffre ne peut pas être évalué précisément. Au Vietnam, l’une des seules organisations soutenant les gays est le Groupement d’information et d’échanges (ICS), implanté à Hô Chi Minh-Ville, Hanoi et Dà Nang depuis 2008. Selon elle, il y aurait donc environ 1.650.000 personnes concernées dans le pays. L’un de ses principaux objets est d’informer les parents. «Lorsqu’ils apprennent l’homosexualité de leur enfant, ils sont la plupart du temps choqués. Certains viennent chez nous avec leur progéniture, et d’autres cherchent les services de professionnels pour en savoir plus. Ces derniers nous donnent leurs contacts pour qu’on aille les voir. Nous rencontrons ainsi environ une famille par mois», nous explique Trân Tùng, directeur de ICS à Hô Chi Minh-Ville.

De fait, certains parents acceptent bien l’orientation sexuelle de leur enfant et certains ont même monté une association pour sensibiliser les autres familles. Ainsi, à Hanoi, une conférence a eu lieu sur le sujet en août dernier. Le même mois, la capitale a vu défiler dans ses rues la première gay pride de son histoire, réunissant une petite centaine de personnes. L’évènement avait été relayé par la presse internationale toute entière. Du côté de l’état vietnamien, on ne se prononce pas officiellement pour ou contre une éventuelle légalisation de l’union homosexuelle mais le sujet est actuellement débattu dans les rangs du gouvernement, et un séminaire sur la modification des lois sur le mariage et la famille a abordé cette question en juillet dernier, ce qui représente déjà, symboliquement, une avancée des plus significatives. «Cette question doit être examinée avec attention sur plusieurs aspects culturels, juridiques et éthiques. Deux points de vue s’opposent actuellement. Certains pensent qu’il faut admettre que le nombre d’homosexuels est important et agir en conséquence. D’autres au contraire excluent catégoriquement cette idée. Le problème est à l’étude dans le processus de préparation du projet sur le mariage et le droit de la famille», avait indiqué le ministre de la Justice, Hà Hùng Cuong, en juillet 2012 dans une interview télévisée.

Depuis, de nombreuses actions ont lieu régulièrement dans le pays, mais peu d’échos leur sont donnés. Il y a seulement quelques jours, le 17 mai à Hanoi, pour la Journée de lutte contre l’homophobie, dix couples de gays et lesbiennes se sont rendus en robes et costumes de mariés dans des endroits très fréquentés de la ville, tels Vincom Bà Triêu. Pour que la différence laisse place à l’indifférence. Le changement est en marche.

*Nom d’emprunt

Éloïse Levesque/CVN

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