La grenouille est souvent présente dans les vieux contes. |
Photo : Archives/CVN |
Dans l’avant-propos de la nouvelle édition des contes de Grimm que j’ai traduits en vietnamien, Eltje Aderhold, première secrétaire de l’ambassade d’Allemagne au Vietnam entre 1996-2000, a évoqué en termes émus le conte préféré de son enfance : Le Prince Grenouille. «Je ne saurais dire le nombre de grenouilles que j’ai attrapées pour leur donner bise quand j’étais enfant, toujours avec le même espoir : peut-être que cette bête était un prince ensorcelé. Depuis, la grenouille est devenue l’un de mes animaux favoris. À l’heure actuelle, un objet important de mon bureau est une grande grenouille en nylon gonflée d’air. Chaque fois que je suis fatiguée par le travail ou irritée par quelque chose, je la regarde : tout l’univers merveilleux de Grimm revit en moi avec ses princes, ses sorcières, ses maisons en confiserie, ses écus d’or, les cheveux ondoyants de Rapunzel, les nains... ; et la joie me revient».
La grenouille et le crapaud
Il semble que la grenouille ne hante pas les contes folkloriques du Vietnam. C’est plutôt le crapaud, surnommé Oncle du Ciel, parce qu’il sait invoquer la pluie chaque fois que la sécheresse sévit sur les rizières (de même que la grenouille). Un proverbe vietnamien dit : «Quand les grenouilles coassent, c’est le signe que les mares vont se remplir d’eau». Chez nous, le coassement du crapaud annonce la pluie bienfaitrice alors qu’en Allemagne, il présage le malheur (Je renvoie au titre du roman de Gtinter Grass : Unkenruf, 1992).
La grenouille est très populaire dans les campagnes vietnamiennes. Ce batracien est plus aquatique et meilleur sauteur que le crapaud. La femelle pond des œufs dans l’eau à la fin du printemps et au début de l’été. Les œufs, surnageant en tas sur l’eau, donnent des têtards herbivores ou microphages. Ces larves à grosse tête prolongée par un corps effilé finissent par perdre leur queue et par avoir des pattes. Adultes prédateurs, les grenouilles sautent sur la terre ferme : elles sont parfaitement amphibies. La grenouille est entrée dans plusieurs expressions et proverbe vietnamiens, en général avec une connotation péjorative comme en Occident.
«Ếch nhái» (littéralement : grenouilles et rainettes) peut désigner des propos obscènes ou des êtres vils.
«Vồ ếch» (se jeter sur une grenouille) veut dire faire un faux pas et tomber.
«Ếch vồ hoa dâm bụt» (la grenouille se jette sur un hibiscus) se dit des gens lunatiques puisque la grenouille ne se nourrit pas d’hibiscus.
«Ếch trong hang cũng còn lo chết» (même tapie dans son trou, la grenouille a peur de la mort) s’applique aux poltrons.
Dans La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf, La Fontaine fustige le vantard. La grenouille vietnamienne incarne souvent le vaniteux et l’ignorant. Ainsi, le proverbe «Ếch ngồi đáy giếng coi trời bằng vung» (La grenouille assise au fond d’un puits considère le Ciel comme un couvercle) se dit des ignares et orgueilleux qui prétendent tout savoir.
«ếch (cóc) mọc lông nách» (la grenouille (ou le crapaud), qui prétend avoir des poils aux aisselles) fait allusion aux prétentieux.
Un met de choix
La cuisine vietnamienne fait grand cas de la grenouille dont la viande est la plus savoureuse au 3e mois lunaire. |
Quoi qu’il en soit, pour bien des peuples, la chair de la grenouille est savoureuse. D’ailleurs, les Vietnamiens surnomment la grenouille «poulet des champs». La cuisine française, comme la cuisine vietnamienne, prise en particulier les cuisses de grenouille qu’elle apprête à l’anglaise, frite, en sauce, etc.
La cuisine vietnamienne fait grand cas de la grenouille dont la viande est la plus savoureuse pendant le troisième mois lunaire. Les meilleurs plats à base de grenouillé sont : cuisses de grenouille en beignet, grenouille sautée avec des pousses de bambou ou avec des luffas, curry de grenouille, grenouille sautée aigre doux, ragoût de grenouille avec du safran, des bananes vertes, du fromage de soja frit.
La pêche des grenouilles se pratique de deux manières dans les campagnes vietnamiennes. On peut les prendre en plongeant une tige de fer terminée en hameçon dans leurs trous creusés dans les talus des rizières ou au bord des mares. Après chaque pluie nocturne d’été, à la lumière des flambeaux de bambou, on peut ainsi attraper facilement les couples de grenouilles copulant. Ces dernières années, l’élevage des grenouilles a connu un essor assez important à cause de la forte demande du marché culinaire, y compris pour l’exportation. Il paraît que les Chinois du Sud sont aussi de gros mangeurs de grenouilles.