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Dans la rue Dinh Liêt. |
Au lendemain de Diên Biên Phu, nous avons quitté la jungle habitée depuis neuf ans pour rejoindre le macadam de Hanoi. Quelques «esprits avancés» ont émis l’opinion qu’il faudrait démolir le Vieux quartier de la capitale pour bâtir à sa place des buildings. Heureusement que la municipalité ne les avait pas écoutés, et même si elle avait eu l’intention de mettre à exécution ce projet fantastique, elle n’aurait pu le faire faute d’argent.
La pauvreté a son bon côté, elle nous a préservé ce trésor national. Plusieurs amis étrangers m’ont dit : «Si ton Hanoi ne l’avait plus, elle serait assez quelconque». Ils préfèrent en général Hanoi à Saigon, parce que la capitale est dotée d’une histoire millénaire. Claude Palazzoli (1) se sentait attiré par les ruelles de la vieille ville. «Point de béton. Mais de plaisantes maisonnettes toutes serrées, agglutinées, rabougries et dont aucune ne ressemble à l’autre : étroites, pointues, pansues, courtaudes, chassieuses et surchargées d’enjolivures et de balcons, terrasses, potiches, balustres et colonnettes... indescriptible et savoureux». C’est en se baladant dans ces ruelles que l’auteur découvre «l’âme du menu peuple, sensible et chaude, qui transfigure les pires indigences».
L’âme d’une ville millénaire
À travers les vicissitudes de l’histoire, l’âme de la cité Thang Long (Dragon prenant son essor) (2) demeure dans ce quartier qui se distingue du nouveau par ses boutiques d’artisanat et de commerces. Le Vieux quartier se présente comme une feuille de mûrier dont la nervure principale serait l’artère rue de la Soie - grand marché de Dông Xuân, au nord de la tâche verte du Lac de l’Épée restituée (Hoàn Kiêm). De cet axe, rayonne une multitude de rues et ruelles qui vont à droite jusqu’à la digue du fleuve Rouge et à gauche jusqu’à l’ancienne citadelle.
Pour faire connaissance avec ce charmant labyrinthe, le touriste doit mettre plusieurs jours. Parfois je plaisante en disant à mes amis étrangers : «C’est le temps qu’il faut pour que vous, ver à soie avide d’exotisme, grignotiez la feuille de mûrier hanoïenne». Au XVe siècle se dessinait déjà dans ses principales lignes le visage de la «Cité aux trente-six rues et corporations» avec des noms évocateurs : rue de la Soie, rue des Vermicelles, rue du Chanvre, rue du Coton, rue des Voiles, rue des Cercueils, rue des Nattes, rue des Bols, rue des Médicaments, rue des Objets votifs en papier, rue des Grillades de poisson. La vie y bouillonne sur les trottoirs (3).
Boutique de fruits frais dans la rue Hàng Bè. |
Les noms des rues et des changements
Très rares sont les rues qui gardent encore quelques bribes de leurs activités d’antan. Par contre, à cause du passage à l’économie de marché, les «trente-six rues et corporations» modernes prennent forme depuis quelques années avec des rues consacrées à des activités nouvelles. Je me permets d’en dresser une liste à l’usage des provinciaux et des étrangers curieux.
* Restaurants et bistrots :
ragoût de poulet (Câm Chi ou Ky Dông), pattes de poulet (Hàng Dâu), bière (Nguyên Du, Hàm Long), gâteaux (Hàng Bông, Tho Nhuôm), viande de chien (Nhât Tân), confiserie et tabac (Hàng Buôm), cuisine sino-vietnamienne (Ta Hiên).
* Articles divers :
bicyclettes (Bà Triêu), cyclomoteurs (Phùng Hung), accessoires de cyclomoteurs (Phô Huê), matériaux de construction (Cat Linh), peinture (Sinh Tu), ferraille (Dê La Thành), médicaments occidentaux (Van Miêu, Khâm Thiên), sandales (Hàng Dâu), tissus (Phùng Khac Khoan), jouets (Luong Van Can), tapis (Ngô Van So), fleurs artificielles, vaisselle et mobilier (Hàm Long), prêt-à-porter (Hàng Vai, Khâm Thiên), coussins et matelas en caoutchouc ou en mousse (Hàng Diêu), électroménager Lê Duân), sacs à dos et cartables (Dinh Tiên Hoàng).
* Services :
massage (dans la rue Nguyên Thai Hoc, près de Cua Nam), robes longues de femme (Luong Van Can), échange de devises (Dinh Lê, Hà Trung), main-d’œuvre (Giang Vo), lavage de cyclomoteurs (Trân Phu), voitures à louer (Quang Trung, Tràng Thi), coiffeurs (Quang Trung).
(Octobre 1993)
Note :
(1) Le Vietnam entre deux mythes, Paris, 1982.
(2) Nom de Hanoi à sa fondation
(XIe siècle).
(3) Lire l’article de Florence Evin : Macadam Vietnam, Le Monde (31 mars 1993-Voyages)