Ce jour-là, quand la nuit tombait sur les montagnes, je suis arrivé à Tram Tâu, province de Yên Bai qui abrite Ban Mù. Treize kilomètres de route raboteuse me séparait encore de cette commune lointaine, et les habitants locaux m’ont conseillé de ne pas aller plus avant. Ban Mù, ce «village immergé dans le brouillard», était quelque part à l’autre bout du monde.
Les rizières en terrasses à Ban Mù. |
Cinq ans après, je retourne à Tram Tâu. D’ici, je reprends la route pour Ban Mù avec An, mon ami local. Le trajet n’est pas moins pénible, toujours aussi graveleux et poussiéreux, mais notre esprit aventureux accepte le défi. De plus, qui pourrait résister au charme des pistes bordées de rizières, des sommets auréolés de nuages et des enfants aux yeux pétillants jouant devant les maisons en bois de Siam, lequel exhale un parfum pénétrant ?
Là où la terre rencontre le ciel
En effet, quand les montagnes russes se terminent, se dévoile une mer de riz ondulant au gré du vent. Ses tendres mouvements caressent notre regard comme si elle voulait nous apaiser après ce fatigant voyage. Je suis fasciné de contempler des parcelles verdoyantes s’étendre à perte de vue et se succéder verticalement du pied à la cime des montagnes comme des échelles géantes menant au ciel. Le vert foncé des forêts apporte des notes graves à cette émeraude, faisant de Ban Mù une palette de vert harmonieuse.
Nous rencontrons une famille H’Mông qui est en train de niveler un terrain sur lequel va être construite sa maison. Chacun sa tâche : les femmes arrachent les mauvaises herbes, les hommes battent le sol, les enfants y apportent un coup de main ou gardent le bébé. Le visiteur ne peut rester de marbre à la vue de ces autochtones, tout petits qu’ils soient face à la grandeur de la nature, travailler laborieusement et patiemment.
Ban Mù, Bas et Haut
Nous atteignons la vallée où se trouve le village de Mù Thâp, c’est-à-dire «Mù Bas». Mais la conquête de Ban Mù ne s’arrête pas là. Une piste sinueuse se dresse vertigineusement devant nous, reliant Mù Thâp à Mù Cao, «Mù Haut». Niché discrètement dans les montagnes, ce village nous invite à élever notre altitude.
La pente piégeuse ne suffit pas à nous décourager. En montant, nous nous émerveillons devant les maisons en bois de Siam éparses dans les rizières, sur les deux bords de la route. Absorbés dans ce paysage de conte de fée, An et moi sommes les derniers du groupe à arriver à Mù Cao. Avec une force incroyable, An me conduit jusqu’à ce que la route devienne impraticable en moto. À sa place, un autre guide me demandera de le suivre à pied.
Des enfants H’Mông. |
Nous prenons une pause sur la place devant l’école primaire de Mù Cao. Les enfants autochtones, curieux de voir des «étrangers», nous approchent sans méfiance. Leurs visages s’illuminent quand nous leur parlons, leurs yeux luisant de joie. J’imagine combien ils sont heureux de recevoir des invités chez eux, tout comme moi quand je n’étais qu’un petit enfant. Dans ce village reculé, ce n’est pas tous les jours qu’ils rencontrent des gens venus de loin, qui franchissent des kilomètres de route accidentée pour leur rendre visite. C’est pourquoi on passe le reste de l’après-midi à Mù Cao rien que pour s’amuser avec eux. Leur enjouement, pur comme la nature, nous rapproche rapidement.
Vient le moment où l’on doit se dire au revoir, le cœur lourd. Tandis que la moto m’emmène au loin, je me retourne, les larmes aux yeux, pour retenir dans la mémoire l’image des enfants qui me suivent du regard…
Sérénité absolue
De retour à Mù Thâp, nous nous dirigeons vers l’autre côté de la vallée pour suivre la route menant à Tà Ghênh et Hang Chi Mua, deux hameaux de Ban Mù. Jetant un dernier coup d’œil à Mù Cao, la chevelure ondoyante de ses rizières me donne une nouvelle fois le tournis.
Nous croisons une femme H’Mông au milieu d’une rizière, coiffée d’un turban coloré, sa hotte et son ombrelle posées sur un rocher. Le paysage de la région montagneuse est tellement paisible qu’il devient irrésistible. Nous nous arrêtons pour nous offrir une pause au sein de cette mer verte. An s’allonge sur une large pierre, prenant une bouffée d’air pur imprégné de l’odeur du jeune riz, le violet de sa chemise du plus bel effet contre l’étendue végétale. Près de nous, la femme H’Mông continue à travailler silencieusement…
Je laisse mon regard traîner, captivé par une maison solitaire en bas de la vallée, minuscule au milieu de l’infinie des forêts et rizières. La paix règne dans mon for intérieur, et c’est avec cette sérénité absolue que Ban Mù est imprimé dans mon cœur.
Thuy Trân/CVN