>>Premier film multi-épisode sur le culte des Déesses-Mères des Trois mondes
Temple dédié à Chu Dông Tu, dans le village de Chu Xa, à Hanoï. |
Photo: CTV/CVN |
Dans son livre The Birth of Vietnam, l’historien américain Keith W. Taylor a raison d’insister sur l’importance des mythes qui avaient présidé à la naissance du premier État vietnamien au Ier millénaire avant J.-C. Il revient plus d’une fois à la légende Nhât Da Trach (Marais d’une nuit), légende liée à la guérilla victorieuse mené au VIe siècle par le général Triêu Quang Phuc contre les envahisseurs chinois Liang.
Les contes Tiêu lâm (Forêt du rire) mis à part, aucune œuvre littéraire sérieuse du Vietnam ne présente une scène aussi osée que celle qui déclenche l’action de l’histoire du Marais d’une nuit: la rencontre d’une jeune fille et d’un jeune homme nus. Ce qui prouve que la légende était antérieure à l’emprise du confucianisme, bien que sa version définitive, avec son épilogue bouddhique, semble dater de la période de domination chinoise.
Voici ce que raconte la légende
À l’époque du roi Hùng vivait un homme si pauvre que lui et son fils Chu Dông Tu n’avaient qu’un pagne pour deux. Quand l’un sortait, l’autre restait à la maison. Le père mourut. Chu Dông Tu fit du pagne un linceul pour son père. Dès lors, toutes les nuits, il pêchait et le matin venu, plongé dans l’eau jusqu’aux épaules, il échangeait contre du riz crabes, crevettes et poissons.
Un matin de printemps, Chu Dông Tu entendit résonner des tam-tams et des gongs tandis qu’approchaient des barques aux parasols et oriflammes de couleurs vives. Pris de peur, il jeta son carrelet dans un buisson et, courant jusqu’au banc de sable, y creusa un trou pour s’y abriter comme font les crabes. Les barques portaient la princesse Tiên Dung. "Beauté de Fée", elle méritait bien son nom. Mais les prétendants avaient beau se disputer sa main, elle refusait toujours. Son seul plaisir était de voyager, son seul amour les paysages.
Fête traditionnelle pour rendre hommage à Chu Dông Tu. |
Ce matin-là, la berge lui parut pleine de charmes. La princesse décida de faire dresser sur la plage une tente et de se baigner. Derrière les rideaux, elle se dénuda et se versa de l’eau fraîche sur le corps. Mais l’eau entraînant le sable découvrit Chu Dông Tu qui s’était justement enfoui à cet endroit.
La surprise de la princesse ne fut rien à côté de la confusion du jeune pêcheur. Il implora le pardon de la jeune fille et lui conta son histoire. Émue, Tiên Dung répondit: "Je m’étais jurée de ne jamais me marier, mais notre rencontre témoigne de la volonté du Ciel et nous devons nous incliner". Le mariage fut aussitôt célébré sur le fleuve. Le roi, apprenant la nouvelle, entra dans une violente colère, ne voulant plus revoir sa fille indigne.
La princesse resta avec son mari dans ce village perdu pour y gagner sa vie. On conseilla à Chu Dông Tu de voyager dans les zones maritimes pour faire du troc. Il partit et arriva à une montagne où il fit la connaissance du jeune bonze Phât Quang, "Lumière du Bouddha". Celui-ci lui enseigna la doctrine. Un an après, quand Chu Dông Tu partit, le bonze lui donna un bâton et un chapeau en latanier. De retour chez lui, Chu Dông Tu enseigna à sa femme les paroles de Bouddha. Les époux partirent à la recherche de la Voie.
Un soir, surpris par la nuit, ils s’arrêtèrent dans un endroit désert, plantèrent le bâton et le coiffèrent du chapeau. Quand ils s’éveillèrent, ils se trouvèrent dans un palais d’émeraude et de jade, entourés de courtisans, de serviteurs et de soldats.
Informé de cet événement, le roi Hùng crut à une rébellion et envoya une armée contre sa fille et son gendre. Les troupes royales arrivèrent sur les bords du fleuve et attendirent l’aube pour attaquer. À minuit, un orage éclata et emporta vers le Ciel Chu Dông Tu, sa femme, ses hommes et son palais, ne laissant au sol qu’un marais auquel on donna le nom de "Marais d’une nuit".
Le roi Hùng y fit élever un temple où se célèbre encore de nos jour le culte de Chu Dông Tu et de Tiên Dung. Leur fête, très pittoresque, a lieu chaque année au 10e jour de la première lune au village de Chu Xá.
(Juillet 1993)