Éloge de la pauvreté

Alors que de nombreux poètes et philosophes faisaient toutes sortes d’éloge, Nguyên Công Tru, un militaire, poète et grand mandarin vietnamien du début du XIXe siècle, vantait plutôt la pauvreté...

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Le temple dédié à Nguyên Công Tru dans la province de Ninh Binh, au Nord.
Photo : CTV/CVN

Poètes et philosophes de tout temps et de tout pays ont fait toutes sortes d’éloge : éloge de la folie (Erasme), éloge de la volupté (Jouhandeau), éloge de l’ombre (Tanizaki), éloge de l’alcool (Li Tai Po), éloge de la paresse, de l’oisiveté, de l’argent, que sais-je ?

Nguyên Công Tru (1778-1859), poète de talent et grand administrateur, fait plutôt l’éloge de la pauvreté. Fidèle à l’idéal confucéen de sobriété, cet homme a connu des hauts et des bas dans sa carrière mandarinale, a chanté non sans ironie la pauvreté du lettré qui sait s’en accommoder. Ci-dessous quelques bribes de son long poème :

Sus à la pauvreté
Sus à la pauvreté
On a beau être talentueux
Pauvreté est vice
Les six malheurs, elle en est, les livres sacrés l’enseignent
Le premier des crimes, c’est elle, le proverbe l’a dit
Voici l’homme
Quatre cloisons de feuilles
Un toit de chaume
Les punaises de bois gravent des étoiles sur les poutres.
Les araignées à la porte tissent leur rideau contre le vent
Cuisine, chambre à coucher, une cloison de bambou les sépare
Millet, haricot, un entre-nœud de bambou les contient
Sous un lit de bambou, les termites dessinent leurs arabesques
Au pied d’un mur de torchis, les vers de terre accumulent leurs déjections.
Un gosse balbutie à regarder les ronds que le soleil projette sur les cloisons
Un chat guette auprès des trous de souris que l’eau de pluie pénètre
Le cochon grignote son auge, la faim l’empêche de crier
Une souris lasse de fouiller dans une marmite vide se tient coite.
Trois fois par jour, on s’emplit la panse de légumes, l’homme de bien n’aspire point à se rassasier.
Cinq veilles durant, on dort à poings fermés, toutes portes ouvertes, car ne sommes-nous pas en temps de paix ?
Des feuilles de badamier, de goyavier emplissent la théière, donnant un breuvage âcre et amer.

Statue de Nguyên Công Tru, un militaire, poète et grand mandarin vietnamien du début du XIXe siècle.
Photo : ST/CVN


Des aubergines, des courges cuites à l’eau, quels plats délicieux !
Un éventail fait de roseaux, une pipe de bambou, quels trésors ?
Pour les soirées une théière au col ébréché
Pour les festins, une gourde d’alcool rafistolée
Comme antiquité, un tableau au mur, tout couvert de suie aux couleurs indistinctes comme un tableau ancien
Comme richesse, quelques livres sur une étagère, rongés par les blattes, comme marqués de vermillon
Un jeu de cartes en service depuis trois générations :
On ne distingue plus le roi de la reine
Un échiquier qui a survécu à sept propriétaires : on confond les cases les unes avec les autres.

J’ai le dos trop maigre, signe de non richesse
Trop de bouches au foyer, avec quoi les nourrir ?
Rien n’est prêt aux repas, les gosses criaillent comme les abeilles affolées
Je remets dette sur dette, les créanciers hurlent comme des orfraies
J’ai pensé me faire médicastre, mais à lire l’éthique du médecin, j’ai renoncé à vouloir guérir les gens
Devenir sorcier, cela rapporte, mais le courage m’a manqué
Se faire connaître, ce n’est pas si simple
Le métier de devin, abuser des livres saints, exploiter la crédulité des autres, cela ne vaut pas plus que du sel qu’on jette à la mer
Repérer ci et là la veine du dragon, hélas je suis piètre géomancien, n’ayant même pas trouvé un lieu pour enterrer mon père.
J’ai failli faire le commerce, la corporation ne m’a pas accepté, et des bénéfices, je n’en ai guère vu
J’ai tenté ma chance au jeu, le capital et l’expérience m’ont manqué, rien n’est sorti de rien.
Quand la malchance ou la maladie vous assaille, il faut bien frapper à une porte ou à une autre,
J’invoque, je supplie, des heures durant, mes jambes flageolent
Argument, prétexte, les gens refusent, tirant sur leur barbe.
Aux enfants, je rappelle l’enseignement des anciens : le sage trouve sa joie dans la doctrine, oubliant la pauvreté.
Quand mes amis discutent de la vie, je leur répète :
Celui qui cherche la vertu d’humanité, ne peut s’enrichir.

La pauvreté nous est conférée par le Ciel
La richesse nous est donnée par le sort
Ceux qui possèdent à foison rizières et buffles, dont les silos regorgent de paddy, ne sont en vérité que de pauvres gardiens de trésors.

Huu Ngoc/CVN
(Décembre 2002)

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