De bonnes feuilles

Hanoï est sans doute l’une des villes du monde qui comptent le plus d’arbres. Mais, se promener sous les ombrages est une chose et savoir de quel ombrage il s’agit en est une autre.

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Hanoï compte bon nombre de rues ombragées.

Je résume ce que d’autres ont écrit bien avant moi : Hanoï est une ville d’eau et de feuilles. Ville d’eau, non par ses établissements thermaux, mais par le nombre de lacs dans lesquels elle se mire. Ville de feuilles, pas tant par le nombre de librairies où l’on peut en trouver de bonnes (feuilles), mais par la forêt urbaine qui borde rives, parcs, rues et avenues.

Jeunes pousses aux rameaux longs ou vieilles branches qui en ont vu de toutes les couleurs, ils sont des milliers à nous mettre à l’ombre lors des journées de canicule ou à nous servir de parapluie quand le ciel se laisse aller à quelques fuites…Ils sont aussi, malheureusement, quelques dizaines à choir sur la chaussée chaque année.

Tribut payé à des tempêtes tropicales lors des bras de fer avec des vents d’une extrême violence. Mais, malgré les ravages du temps, passé et présent, ils sont encore nombreux à rester à leur poste, amis fidèles de l’électricien ou du coiffeur de rue. L’occasion pour l’étranger que je suis, plutôt habitué aux platanes ou aux marronniers, de se familiariser avec des noms nimbés de mystère.

Sacré arbre

Un des arbres que l’on voit le plus souvent à Hanoï, c’est le banian. Arbre remarquable s’il en est, et facile à repérer. À l’inverse des autres, il prend racine par le haut. Un peu comme un rasta qui laisserait pousser ses dreadlocks, jusqu’à ce qu’elles atteignent le sol et s’y ancrent. Chaque racine, en grossissant, devient un petit tronc qui va de nouveau laisser tomber ses racines pour former un nouveau tronc. À tel point qu’un vieux banian, c’est une forêt à lui tout seul.

Le banian centenaire dans la rue Hàng Gai.

Arbre sacré ayant protégé un bouddha en méditation, il occupe souvent une place de choix, à côté d’une entrée de rue, dans le parc d’une pagode ou d’un temple, ou au milieu d’une place. Cependant, avec tout le respect que je lui dois, il est quand même descendu dans mon estime, quand j’ai cherché à savoir qui de l’œuf ou de la poule a été le premier. Autrement dit, puisque ses racines proviennent des branches, il a bien fallu un premier tronc, ou alors cet arbre viendrait directement du ciel.

Et c’est là que j’ai appris la sinistre vérité : le banian est un coucou. Ou plutôt, comme l’oiseau, il s’installe dans le nid d’un autre pour pouvoir se développer. Des oiseaux apportent des graines de banian et les déposent sur un arbre. Les graines vont germer et le banian va se développer en «avalant» son hôte. C’est d’ailleurs pour ça qu’on l’appelle aussi figuier étrangleur. Depuis, à chaque fois que j’en croise un, je le salue poliment, surtout la nuit. Nous ne sommes pas à Londres au début du siècle, mais on ne sait jamais.

Des talents cachés

Je passe rapidement sous les flamboyants qui, l’été venu, sont à Hanoï ce que le rouge à lèvres est à une coquette : un maquillage écarlate destiné à séduire on ne sait quel génie. Je laisse aussi de côté les saules pleureurs qui s’admirent dans le miroir étal des eaux lacustres, en pleurant sans doute sur leur destinée de cachet d’aspirine. Et je vous invite à rencontrer Monsieur Barringtonnia.

Le barringtonnia géant à neuf troncs au bord du lac Hoàn Kiêm donne une allure impressionnante.

Comme le banian, cet arbre de la même famille du badamier peut être gros, même très gros, pour peu qu’on le laisse vivre. Parce qu’un barringtonnia, ça fait de l’ombre, mais ça fait aussi du bien à la santé. Ça fait tellement du bien qu’on se demande pourquoi chacun n’a pas cet arbre en pot à la maison. Les propriétés de ses feuilles et de son écorce ont de quoi rendre jaloux Esculape : expectorantes, diurétiques, antiseptiques, astringentes, tonicardiaques, hépato-protectrices, une vraie pharmacie sur pied.

D’ailleurs, ce n’est pas difficile, quand je me sens patraque, je vais m’asseoir sous le barringtonnia géant à neuf troncs qui se trouve au bord du lac Hoàn Kiêm, et ça va tout de suite mieux. À l’instar des oiseaux qui y nichent et qui manifestent l’excellence de leur transit intestinal sur ma casquette.

Tout en douceurs

Mais le platane local, c’est le pancovier. C’est l’arbre des belles avenues, celles où les maisons regardent les passants par dessus de hauts murs. C’est aussi l’arbre des gourmands. Lui, ce ne sont pas ses feuilles ou son écorce que l’on convoite, mais ses petits fruits verts. En bouillon acide, boisson aigre-douce rafraîchissante, confiture ou confits, ils régalent les connaisseurs.

Le pancovier me plaît surtout quand il perd ses feuilles. Ça me rappelle les trottoirs de mon pays natal : les feuilles qui jonchent le sol, craquent sous les pas. Le vent les amoncelle le long des murs, tas épais que l’on éparpille à grands coups de pieds, pour le plaisir de les voir s’envoler comme des papillons ocre et jaunes. Avec, en plus, le bonheur de continuer à marcher à l’ombre, car la feuille tombée est immédiatement remplacée par une autre. Un arbre qui perd ses feuilles, sans les perdre, c’est une aubaine.

La rue Phan Dinh Phùng est réputée pour des rangées de pancoviers séculaires.

Avant de clore cette chronique de botanique urbaine, je vais vous emmener à la campagne pour présenter un des arbres les plus curieux avec qui j’ai fait connaissance. À vrai dire, j’en avais entendu parler bien avant de venir m’installer au Vietnam. Grâce à lui, j’avais pu m’asseoir confortablement, me réchauffer lors des longues nuits hivernales.

Mais, je ne savais pas alors qu’un jour je pourrai approcher ces arbres à fruits en longues gousses qui s’ouvrent en avril et mai et laissent échapper cette fibre particulière que l’on nomme kapok. Par contre, je ne comprends pas pourquoi le kapokier est aussi nommé fromager. Mais, j’aime bien une autre façon de le désigner : l’arbre des amoureux pour arbre doux comme du coton, ça lui va comme un gant.

Bon, il est temps que je vous laisse, sinon je vais prendre racine.


Gérard Bonnafont/CVN

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